En images: visite de l’expo Hop! avec une classe de 6e primaire

© Debby Termonia
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Mobiliser tout son être pour réprimer un bâillement au point d’avoir les yeux au bord des larmes. Voilà la madeleine refoulée d’un temps aussi passé que perdu. Il faut l’avouer: longtemps, les visites scolaires au musée ont été une épreuve redoutable dans une carrière de môme, une punition qui ne dit pas son nom. Un vrai chemin de croix ponctué d’autant de stations que de « chefs-d’oeuvre » devant lesquels s’arrêter. Même scénario en forme de douloureuse génuflexion à chaque fois, soit un interminable laïus mêlant biographie complète de l’auteur et commentaires tout droit sortis d’un catalogue pour barbons soucieux de briller en société. Au bout de l’expérience, un double divorce qui installe les enfants et la vie d’un côté du mur, et les vieux et la création de l’autre. Les conséquences de cette épouvantable « éducastration » muséale sont parfois lourdes; on pense à ces adultes qui plus jamais ne franchiront le seuil d’un musée: le fameux et insoutenable « ce n’est pas pour moi ».

Bonne nouvelle: la culture ne se vit plus forcément sur le mode de la caserne. En témoigne, l’exposition spécialement conçue pour les 6 à 12 ans au musée d’Ixelles. Hop! revisite totalement les standards en la matière à la faveur d’une vingtaine de pièces présentées dans un format « enfants debout, parents assis ». Accrochées à 1,20 m, les oeuvres en question ne toisent plus les têtes blondes du haut de leur sacralisation par les adultes. Exit l’enfance écrasée sous le poids du savoir inerte, c’est désormais le face-à-face participatif qui est privilégié. On a pu en prendre la mesure à l’occasion d’une toute première visite scolaire sur place. C’est avec enthousiasme et joie communicative que les dix-sept élèves de la classe de 6e primaire de Madame Véronique Plattau – école communale n°1, Schaerbeek – ont essuyé les plâtres. Ils s’appellent Ramzan, Mohammed, Lindita, Andreï, Lina, Alexandre, Nadia, Mélina… Et pour la grande majorité d’entre eux, le français constitue une langue d’apprentissage différente de celle qui est parlée à la maison.

Apprendre par corps

Oubliez tout ce que vous savez sur les musées, Hop! déjoue les clichés. On en reçoit la confirmation dès l’entrée. Sa scénographie commence par dérouter. Une grande salle rectangulaire fait place à des tableaux, des projections et des sculptures se donnant au regard sans le moindre obstacle. L’immersion est totale: l’enfant se trouve parmi les oeuvres. Au centre de la pièce, un dispositif en bois non moins intrigant permet de s’asseoir. Aux murs, onze adjectifs (« Arrêté », « Flottant », « Vif », « Ondoyant »… ) viennent préciser la thématique de l’exposition. La thématique? Aïe, le mot évoque la pédagogie servie à la grosse louche… Fallait-il craindre un retour du refoulé? Nullement! L’asbl Patrimoine à roulettes, qui a conçu le projet en collaboration avec le musée d’Ixelles, a opté pour un thème habituellement incompatible avec le formol culturel, à savoir le « mouvement ». On le sait, dans un contexte d’objets précieux, il est souvent demandé aux enfants de restreindre les élans du corps au maximum. Pédagogue à l’origine du projet et animateur pour l’occasion, Yves Hanosset titille le jeune public en secouant le tabou: « Le mouvement, c’est la vie. Vous êtes toujours en mouvement, même quand vous dormez, vous bougez. » En ce lieu d’immobilité cultivée, le constat s’avère libérateur. Ce préambule accompli, les élèves se dirigent vers un écran où un petit film sans son livre le mode d’emploi de l’exposition. Réalisée à partir de pictogrammes et de dessins schématiques, la séquence exploite les codes du jeu vidéo, un langage que les préadolescents maîtrisent à la perfection. Tous comprennent rapidement que la règle du jeu consiste à retourner vers l’accueillant mobilier du centre de la salle. Celui-ci ne sert pas qu’à s’asseoir, il abrite aussi des « bornes » multisensorielles composées de différentes boîtes (tactiles, sonores, olfactives…) – et de planches aux tracés énigmatiques.

Tempête au musée

A partir de ce corpus de sensations et d’impressions, les gosses établiront des correspondances avec les oeuvres exposées. Regroupées par deux et associées avec les adjectifs évoqués, les pièces en question se promènent allègrement à travers l’histoire de l’art et les collections du musée. Des exemples? « Ondoyant » jouxte à la fois un grand format de Pierre Alechinsky – CoBrA de transmission (1968) – et un Poisson échoué sur la plage (1643) de Frans Rijckhals. « Arrêté » fait place à une sculpture loufoque de Charles Semser – Rester jeune (1976) – et une composition sans titre réalisée en 1972 par Valerio Adami. « Flottant » juxtapose, quant à lui, une vidéo d’Edith Dekyndt – One Second of Silence – et une charmante Jeune fille au bord de la mer du peintre Charles Hermans.

Le jeu des correspondances provoque une véritable tempête dans le musée: les élèves sont en ébullition. Répartis en groupe de cinq, les enfants laissent libre cours à leur imagination. Derrière ses lunettes, l’oeil de Mohammed pétille d’intelligence. Il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre que les lignes qu’il avait devant les yeux étaient en réalité celles qui constituaient la composition de Phares, lièvre et lune souriante d’Henri Meunier. Sans la moindre théorie, juste à l’instinct, il a saisi les principes essentiels de la peinture. Plus loin, Ramzan est en train d’associer une sorte de chant grégorien grave à un dessin d’Henri Michaux qu’il qualifie de « mystique ». Lina, elle, s’extasie devant La Vierge folle (1912) de Rik Wouters, sculpture exubérante et joyeuse dont elle tente d’adopter la position. Yves Hanosset la relance: « Qu’est-ce qui te plaît tant dans cette oeuvre? » La réponse fuse: « Le fait qu’elle danse! »

Comme une glace au soleil

Trop souvent laissé au vestiaire des musées, le corps s’invite ici dans toute son épaisseur. L’animateur profite de la remarque de la jeune fille pour diriger les élèves vers une autre expérience, celle du « Laboratoire des mouvements », second volet de l’accrochage (on notera que celui-ci est uniquement accessible aux classes pendant les horaires d’ouverture du musée, tandis que les familles ne peuvent en profiter que le dimanche, entre 14h et 16h45). Après avoir laissé ses chaussures au « parking » imaginé à cet effet, le petit groupe pénètre une vaste boîte blanche à l’intérieur de laquelle se trouvent trois écrans. L’idée derrière cette installation vidéo réalisée en collaboration avec le collectif Pimpampet? « Vivre l’art dans son corps », soit réaliser une intégration formelle par-devers la conscience. La séquence, qui dure vingt minutes, consiste en l’exploration d’un type de mouvement lié aux oeuvres vues précédemment. Pour ce faire, des danseurs sur l’écran convient les jeunes visiteurs à une sorte de « voyage physique ». Guidés par des instructions précises (« Marche comme si tu allais cueillir des fleurs », « Ressens le serpent qui est en toi »… ), de la musique et des sonorités évoquant les jeux vidéo, les enfants déploient une énergie spectaculaire qui a vite fait de réchauffer la pièce. Pour le mot « Ramolli », ils vont « fondre comme une glace au soleil », et au fur et à mesure de l’exercice, l’écran rapetisse, obligeant les participants à terminer leur chorégraphie à terre. Il sera aussi question d’explorer « L’immobilité » en tentant de « ne pas casser l’immobilité de l’univers », voire de se faire « Ondoyant » en suivant du nombril un facétieux point de couleur sur l’écran.

Retour au calme. Sans se faire prier, les élèves rejoignent la première salle où l’institutrice les invite à inspirer-expirer avec beaucoup d’à-propos. L’agitation précédente les a parfaitement préparés à une séance de contemplation face à 1917 points blancs (1978), une sculpture mobile de Pol Bury qui exalte la lenteur. Bien vu. Un des enfants puise dans le répertoire sonore qu’il a parcouru avant l’épisode consacré au mouvement et restitue une Gymnopédie d’Erik Satie au plus grand ravissement de ses condisciples qui goûtent ce moment suspendu.

Pour Stéphanie Masuy, responsable du service des publics au musée d’Ixelles, l’expérience Hop! se profile comme un horizon. « En programmant des visites pour les petits dès 2 ans et demi – ce qui est inédit dans la capitale -, nous avions déjà fait le choix de nous adresser au jeune public. C’est un axe important qui permet de remobiliser les oeuvres de notre collection. Pour Hop!, nous avons fait appel à Patrimoine à roulettes car ils ont une vraie expertise sur le sujet, ils sont notamment intervenus en Corée du Sud sur le Hello Museum, le premier musée d’art pour kids. Il n’est pas ici question d’ingénierie culturelle pesante, mais bien d’une approche sensorielle du patrimoine, permettant de susciter des réponses spontanées chez les mômes, une adhésion naturelle. » Un point de vue confirmé par Yves Hanosset: « L’objectif est de mobiliser la capacité à regarder des enfants. Pour y parvenir, on associe les compétences qui sont celles de l’équipe: enseignement, histoire de l’art, scénographie, danse, vidéo… On mélange tout cela et on imagine une expérience globale à travers un outil spécifique, comme ce mobilier en bois que nous avons fait réaliser à la Micro Factory d’Anderlecht et qui fonctionne comme une machine à stimuler. » Des stimulations essentielles pour que les nouvelles générations restent présentes aux formes et aux matières de ce monde.

Hop!, au musée d’Ixelles, à Bruxelles. Jusqu’au 4 février 2018. www.museedixelles.be

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