« C’est à Molenbeek, et à Molenbeek uniquement que le MIMA fait sens »

© Catherine Minala
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Bruxelles accueille un nouveau musée d’art actuel unique en Europe: le MIMA. Si son ouverture a été retardée à cause des attentats du 22 mars, Focus en a poussé la porte en avant-première.

Article initialement paru dans le Focus du 18 mars.

Habituellement, la visite sur chantier requiert de faire preuve d’une bonne dose d’imagination. Dans le cas du Mima, l’exercice s’avère plus facile que prévu. Tout se passe comme si les huit salles des anciennes brasseries Belle-Vue attendaient cette réaffectation depuis toujours. On n’a aucune peine à se représenter les oeuvres de Maya Hayuk, Swoon, Momo et Faile prendre place au coeur des 800 m² d’exposition. Ceci, à la faveur de City Lights, l’événement qui essuiera les plâtres dès le 15 avril. C’est Raphaël Cruyt -galeriste et initiateur du projet en compagnie d’Alice van den Abeele, Florence et Michel de Launoit- qui emmène à travers les lieux résonant des coups de marteau des ouvriers. D’un pas sûr, il se faufile à travers les méandres labyrinthiques de ce bâtiment qui se décline sur quatre étages. Après le rez-de-chaussée qui fera place à un restaurant et une billetterie, celui qui dirige la galerie Alice invite à imaginer l’espace muséal. « La première salle que traverseront les visiteurs sera dédiée à la projection de films vidéo, les images en mouvement sont un excellent outil pour faire comprendre les arts plastiques », explique l’intéressé. Tout le reste est consacré, sur trois niveaux, aux expositions temporaires, programmées au rythme de deux par an, et à la collection permanente. Les temps forts architecturaux? Sans hésiter, la salle dite Diamant, soit l’ancien lieu de fermentation de la gueuze. Pour la qualifier, Cruyt parle de Petite Sixtine, faisant allusion par là à la verticalité de l’espace qui invite le visiteur à lever la tête vers le haut. Cette sorte de « chapelle » dégageant une aura de sacralité s’apprête à accueillir une fresque « immersive, colorée et empathique » de Maya Hayuk (lire encadré). Autre moment marquant de la visite, la terrasse sur le toit qui offre une vue panoramique sur le canal. « Il faut s’imaginer que l’on se trouve ici face à ce qui était autrefois le croisement entre la Petite et la Grande Senne », précise Raphaël Cruyt pour restituer le passé glorieux (lire encadré) de cet édifice bien connu des Bruxellois.

Nouvelle typologie

Le Mima entend bien rompre avec le musée à la papa. Mais pas seulement. Il s’agit également d’en finir avec le hold-up que l’art dit « contemporain » a opéré sur la création plastique actuelle. Raphaël Cruyt détaille: « Aujourd’hui, quand on parle de l’art contemporain, on évoque le plus souvent le marché de l’art soumis à la spéculation et aux diktats commerciaux. En tant que galeristes, nous avons pu observer cette mécanique, elle est absurde, nous n’y croyons plus. C’est celle qui préside aux foires dans lesquelles la valeur est produite de manière artificielle, en cercle fermé pour ainsi dire. Au Mima, nous cherchons à faire connaître une autre typologie d’artistes. Des artistes qui, grâce aux réseaux, travaillent avec une communauté derrière eux. Du coup, ils n’ont pas besoin du marché et des institutions, ils vivent dans les marges de ces circuits… malgré cela, ils jouissent d’une notoriété remarquable dans la société. Nous allons donc devoir être prospectifs et faire preuve de créativité pour imaginer une scénographie à la hauteur de cette culture 2.0 aux contours viraux. » Outre la première exposition qui donne la parole à cette génération de plasticiens DIY, la collection du Mima est emblématique en la matière. Acquise par les soins de trois collectionneurs qui n’en ont pas l’usufruit, elle convoque une série d’oeuvres passées entre les mailles du marché. Ainsi du peintre et illustrateur flamand Brecht Vandenbroucke, de l’artiste issu du graffiti Barry McGee ou encore de Fuzi UVTPK connu pour avoir développé son propre « ignorant style » et l’avoir transposé en tant que tatoueur sur de nombreux corps -entre autres ceux de Scarlett Johansson, Diplo ou du duo Justice. Point commun entre ces trois signatures? « Une approche décloisonnée, commente Raphaël Cruyt. Elle associe librement entre elles les cultures musicales, telles que le punk-rock, l’électro; le hip hop, le graphisme, l’art, qu’il s’agisse de cinéma, de performance ou de bande dessinée; ou encore les sports extrêmes ou les pratiques urbaines façon graffiti ou street art. »

L'exposition City Lights devait initialement démarrer le 24 mars, soit deux jours après les attentats.
L’exposition City Lights devait initialement démarrer le 24 mars, soit deux jours après les attentats.© Catherine Minala

Anti-LVMH

Mima, l’acronyme demande une explication. Il s’agit du Millennium Iconoclast Museum of Art. Tout un programme. «  »Millennium » indique le début de la séquence temporelle qui nous intéresse, soit l’an 2000, résume celui qui est également commissaire de City Lights.« Iconoclast » est à comprendre dans le sens du caractère transversal du travail exposé. « Museum » car il s’agit malgré tout d’un lieu de production d’énergie artistique proposant un récit collectif et ayant une ambition de partage du savoir. « Art », enfin, car les arts plastiques sont la colonne vertébrale du projet. » D’autres axes définissent ce nouvel espace. La modestie, par exemple. « L’idée est de faire exactement l’inverse de la fondation Louis Vuitton, soit débarquer dans une ville avec un bâtiment venu de nulle part portant la signature d’un architecte prestigieux et affirmer haut et fort: « Ceci est le beau ». On veut que le Mima soit suivi par le public, nous l’avons imaginé participatif par essence. S’il ne devait pas l’être, nous ne nous entêterions pas. C’est aussi la raison pour laquelle nous allons fonctionner avec un budget réduit de 600.000 euros par an incluant l’ensemble des frais: deux grandes expos annuelles, les expos et événements satellites (performances musicales, danse, Journée de la diversité…), loyer, personnel, assurances, transports, communication, amortissements, impressions, remboursement prêt, réalisations vidéo… Le tout sera financé à hauteur de 50% par la billetterie, sur une base de 30.000 visiteurs par an; 15% par les partenaires fournisseurs; 20% par les subsides politiques ponctuels -un à deux en deux ou trois ans-; et 15% par les amis du musée. »

Engagement

Né d’une proposition de Michel de Launoit, acteur culturel bruxellois s’inscrivant dans une lignée de mécènes -on pense particulièrement à son père, Jean-Pierre de Launoit à qui l’on doit La Chapelle musicale Reine Elisabeth-, le Mima est motivé par un manque, celui d’un lieu qui défende un art véritablement populaire. Raphaël Cruyt précise: « On connaît la formule du musée qui est accessible à tous, nous en voulons davantage, nous promettons un endroit qui soit susceptible d’intéresser tout le monde. » Il est question d’être le plus proche des gens. Pas étonnant dès lors que les concepteurs du projet brandissent le credo de Banksy selon lequel aujourd’hui « le monde bourgeois de l’art appartient au peuple » et qu’« il s’agit d’en faire quelque chose ». Cette proximité commencera à n’en pas douter en associant le public de la commune sur lequel se trouve le site. Il s’agit de contribuer à l’essor du quartier. Interrogé sur la question d’un éventuel changement de stratégie en raison de la récente mauvaise presse qui a déferlé sur Molenbeek, Raphaël Cruyt n’hésite pas un seul instant: « Contrairement à tout ce qui se dit, au regard de son niveau de pauvreté, Molenbeek est une réussite. On a voulu en faire une no-go zone à la manière dont Fox News avait désigné auparavant le 20e arrondissement de Paris. Pour habiter la commune, je peux dire qu’il y a un vrai contrôle social exercé par les familles. Chacun surveille ses enfants et les enfants des autres, car tout le monde se connaît. Pas une seconde, nous avons pensé délocaliser le projet. C’est à Molenbeek, et à Molenbeek uniquement qu’il fait sens. »

Le Petit Manchester

L'ancienne brasserie Belle-Vue, désaffectée et revendue en 2008.
L’ancienne brasserie Belle-Vue, désaffectée et revendue en 2008.© Catherine Minala

Le Mima est situé au coeur de ce que l’on appelait autrefois le Petit Manchester, notamment en raison des fameuses briques rouges qui y caractérisent de nombreuses constructions. A partir de la moitié du XIXe siècle, ce quartier prend progressivement essor, au point de devenir dans la première partie du XXe siècle le faubourg industriel le plus dynamique de l’agglomération bruxelloise. Entre 1846 et 1946, la population passera de 12.000 à 42.000 habitants sous la poussée d’un exode rural. Un village dans la ville se crée, peuplé de 30.000 ouvriers et riche d’un réseau de rues secondaires avec cours et logement collectifs. Cette montée en puissance du quartier est due en partie à la proximité du canal, outil essentiel à son développement. En 1913, dans un manifeste nommé Pour le grand Bruxelles, A. Huisman écrit à propos de cette partie de la ville: « A côté de la ville de luxe, va naître la cité des usines, du commerce et de la navigation. » Cette promesse d’avenir radieux poussera les frères de Coster, Louis et Emile à y implanter leur brasserie en 1916. En 1931, des travaux sont entrepris pour gagner en efficacité. En 1969, la brasserie est revendue à la famille Vanden Stock (Belle-Vue) qui la revendra elle-même à Interbrew en 1991. Lequel groupe délocalise progressivement la production et revend le site désaffecté en 2008. En 2013, l’Hôtel Meininger s’installe en occupant une partie de l’ancienne brasserie. 2016 est l’année du centenaire du bâtiment.

Street art décalé

Maya Hayuk

S’il fallait mesurer le potentiel d’énergie et de bonnes vibrations que génère le Mima, c’est peut-être dans les yeux de Maya Hayuk qu’il faudrait le faire. Après avoir découvert le lieu par une nuit glacée d’octobre 2015, l’artiste venue de Brooklyn s’extasie devant la salle Diamant. Celle qui a commencé comme photographe de la scène punk-rock new-yorkaise pointe directement l’aspect de « spiritual place » du lieu. Autre source d’émotion, elle récupère dans la foulée une série de sacs avec du matériel qu’elle avait laissé lors d’une exposition à Berlin il y a un an et demi. Accolées l’une à l’autre, ces deux retrouvailles déboucheront à n’en pas douter sur l’une de ses peintures monumentales abstraites et psychédéliques dont elle a le secret. Ce n’est d’ailleurs pas son premier fait d’armes en Belgique puisque l’on se souvient que Maya Hayuk avait investi la façade de la Géode de Charleroi à l’occasion de la récente biennale d’art urbain Asphalte. Encore visible aujourd’hui, la fresque est emblématique du style quasi musical de cette plasticienne qui a été mise sur les rails par l’un des Beastie Boys. Le goût folk pour le « pattern » -qu’elle attribue à ses origines ukrainiennes- infuse ses interventions mais pas seulement, car celles-ci prennent également une tournure « environnementaliste-collaborative » au sens politique et socialement engagé du terme. Comme quand elle débarque avec d’autres artistes -Swoon, Noah Sparkes…- dans des bleds paumés, par exemple Braddock en Pennsylvanie, pour leur rendre la lumière et leur redonner des couleurs au sens propre comme au figuré.

Maya Hayuk et Momo
Maya Hayuk et Momo© Catherine Minala

Momo

Un mot qui revient pour caractériser la figure de cet artiste nord-américain né en 1974 est « outsider ». Il est pertinent. « Se situer à l’extérieur de la société me semble un devoir pour qui veut créer », explique-t-il. Tout comme Maya Hayuk ou le tandem Faile, Momo explore les marges de la création. Très influencé par le mouvement DIY -il construit lui-même les outils qui servent à sa pratique et revendique Barry McGee comme modèle-, il mène également une vie nomade activiste guidée par une économie de moyen drastique -il a longtemps vécu en Floride dans une tente avec un minimum d’argent au point de se nourrir avec les crustacés arrachés à même la coque des plaisanciers des Keys- à la hauteur de son refus du système, qu’il soit politique ou artistique. Sans regret, aujourd’hui encore, il parle de cette période de son existence comme d’une « libération » qui lui a montré qu’il était possible « d’inventer sa vie » à une époque dominée par les conformismes. Il arpente les quatre coins du monde, n’hésitant pas à intervenir dans un township jamaïcain ou, plus récemment, sur la façade d’un gratte-ciel de Philadelphia. Le tout pour une esthétique qui s’apparente à l’univers digital alors qu’il est produit par le biais de techniques anciennes empruntées par exemple à la maçonnerie. Pour son intervention dans le cadre du Mima, qu’il avait lui aussi pu découvrir il y a environ un an, Momo proposera une série d’installations tridimensionnelles qui offriront un lien interactif avec le public, mais également une vidéo et un « experimental happening » sans plus de précision.

MIMA, 33 QUAI DU HAINAUT, À 1000 BRUXELLES. WWW.MIMAMUSEUM.EU

EXPOSITION CITY LIGHTS, DU 15/04 AU 28/08 – PROLONGATION JUSQU’AU 31 DÉCEMBRE. OUVERT DU MERCREDI AU DIMANCHE DE 10H À 18H.

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