À Avignon avec Olivier Blin, directeur du Poche: « Je suis là pour vendre et réseauter »

Olivier Blin, d'acheteur à vendeur. © JÉROME VAN BELLE - WBI

Avignon, en juillet. D’un côté, le spectateur lambda, qui espère trouver le spectacle qui fera sa journée. De l’autre, le professionnel, programmateur, diffuseur ou directeur de théâtre, descendu dans l’un des plus grands festivals de théâtre au monde pour y vendre, acheter, réseauter. Olivier Blin, directeur du Poche à Bruxelles, fait partie de la seconde catégorie. On l’a suivi dans son Avignon.

Il y a quinze ans, on rencontre Olivier Blin à Avignon pour la première fois. Cet été-là, il produit dans la Cité des papes Un fou noir au pays des Blancs, seul-en-scène de l’écrivain congolais installé en Belgique Pie Tshibanda. Après ses études en journalisme, un job à Cause commune (une association qui amenait de la nourriture dans les camps durant le conflit en ex-Yougoslavie), un poste de directeur adjoint au Poche (déjà), Blin a créé la Charge du rhinocéros, une compagnie de production et de diffusion de spectacles engagés. La trentaine bien entamée, il partage alors une grande maison en bordure de ville avec les comédiens des spectacles produits par la Charge. Le programme du producteur-diffuseur? Sillonner le festival, traditionnellement distribué entre programmation « in » officielle et « off » libre, ainsi qu’en animations de rue, pour y dénicher les spectacles et les comédiens en adéquation avec la ligne de sa compagnie. Parler finances aussi, histoire de connaître les réalités budgétaires des spectacles qu’il souhaite démarcher et produire.

L'Herbe de l'oubli, une des deux pièces du Poche montées à Avignon.
L’Herbe de l’oubli, une des deux pièces du Poche montées à Avignon.© VÉRONIQUE VERCHEVAL

De diffusion à direction

En 2016, changement de décor. Olivier Blin accède à la direction du théâtre de Poche de Bruxelles. Depuis, il aborde forcément un peu différemment le grand rassemblement avignonnais. « Je ne suis plus ici pour acheter: je suis là pour vendre et « réseauter ». » Cette année, Blin n’est d’ailleurs pas venu les mains vides dans la Cité des papes. Deux pièces de la dernière saison du Poche, L’Herbe de l’oubli et Pas pleurer, y sont jouées chaque jour au théâtre des Doms, le pôle Sud de la création en Belgique francophone, soit le théâtre officiel des Belges à Avignon. La première, écrite et mise en scène par Jean-Michel d’Hoop, traite de l’après-Tchernobyl; la seconde, adaptée du roman de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014 par Denis Laujol, de la guerre civile espagnole. Une sélection avignonnaise faite en amont, en Belgique: après avoir soumis un dossier de candidature, les spectacles noir, jaune, rouge sont vus en saison, et choisis par l’équipe des Doms, emmenée par son directeur Alain Cofino Gomez. « Alain prône un théâtre engagé. Et les spectacles qu’il a choisis au Poche s’inscrivent dans cette ligne, explique Blin. » Il existe aussi des contraintes techniques. Pour s’exporter dans le sud, le spectacle doit composer avec un petit plateau, et être rapide à monter et démonter: aux Doms, les pièces se succèdent au fil du jour à un rythme soutenu. « Nos pièces au Poche se prêtent traditionnellement à plusieurs configurations. On est adaptables. » Un autre argument de poids qui permet sans doute au théâtre du bois de la Cambre de figurer doublement dans la vitrine belge cette année.

Entre quelques coups de fil à son réseau pour savoir « ce qu’il faut voir », Olivier Blin se fond pour l’heure dans l’agitation des rues d’Avignon, avant de se poser quelques instants sur les marches qui mènent aux Doms. La représentation de L’Herbe de l’oubli commencera dans quelques instants. « Il faut assurer la présence avant et après les pièces produites par le Poche. » On sent le directeur sur le qui-vive. Ses yeux scannent la foule à l’entrée pour repérer tel ou tel avec qui il serait bon de discuter: programmateurs étrangers éventuels acheteurs du spectacle, autres directeurs avec qui tisser des liens entre institutions, journalistes qui pourraient écrire une critique… L’enjeu est important: « Une dizaine de représentations sont déjà vendues cette année, nous confie-t-il. Mais on aura surtout eu près de 800 programmateurs sur l’ensemble du festival. J’estime le résultat à 10% de retour, soit quelque 80 représentations vendues. L’Herbe de l’oubli, notamment, est potentiellement facilement vendable parce qu’on peut jouer sur un double tableau: théâtre en français et théâtre de marionnettes. »

Trop de spectacles tuent le spectacle? A Avignon, il y a inflation...
Trop de spectacles tuent le spectacle? A Avignon, il y a inflation…© PATRICK ROUX/BELGAIMAGE

Apéro et convivialité

A Avignon, directeurs, programmateurs et spectateurs se retrouvent autour d’une ferveur commune, de façons de faire identiques. La faute au climat, à l’apparente décontraction, à la concentration des passions? « Avignon est un lieu de liens, confirme Blin. Je souhaite développer des partenariats et des collaborations autour de mon théâtre. Le festival permet de faire naître quelque chose lié à la convivialité, notamment lors d’apéros prolongés qui, quoi qu’on en dise, participent au processus de création. » L’an dernier, un rapprochement s’était par exemple concrétisé avec Jean-Michel Van den Eeyden, directeur de l’Ancre de Charleroi, autour de l’Eldoradôme, un chapiteau dressé dans la cour d’une école d’Avignon. Cette année, ce lieu n’est plus, faute de financement suffisant. Ce qui n’empêche pas les deux directeurs de se retrouver pour échanger sur les pièces vues et les projets à monter. « Ces amitiés de théâtre sont importantes. Avec Jean-Michel, en Belgique aussi, chaque mois, l’un fait découvrir une chose à l’autre. J’aime travailler comme ça, ça permet les situations aventureuses… »

Mais même si Blin est habitué du festival, aime son émulation, y prend du plaisir, y vend des pièces, il reste critique. « Le festival doit faire son examen de conscience. La première fois que j’y suis venu, il y avait 600 pièces dans la programmation off. Cette année, il y en 1.538! Selon moi, on devrait revenir aux fondamentaux, et diminuer le nombre de lieux de diffusion. Les spectacles présentés sont de moins en moins expérimentaux, plus formatés. Etre au festival ne doit pas faire oublier qu’il faut aussi se balader ailleurs que dans les lieux où se concentre le théâtre. »

Echanges, amusement, amitiés et à-côtés du théâtre sont les essentiels d’Olivier Blin pour nourrir les saisons à venir du Poche (1). Comme quand, la journée terminée, on le retrouve chope à la main avec Jean-Michel Van den Eeyden devant la retransmission du match France-Belgique, sur un écran géant dressé dans la cour des Doms. A philosopher, s’emporter, se passionner, rigoler et débattre. Parce que, ça aussi, c’est du théâtre. Celui de la vie.

(1) La prochaine saison du théâtre de Poche: www.poche.be.

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