Auto-tune (2/6): rock’n’roll et voiture, à la croisée des chemins

Chris Isaak © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Dès le début des années 80 -merci MTV- la bagnole batifole avec le rock sur nos écrans de télé. Symbole de réussite pour les glam métalleux, ennemis des punks écolos, la voiture est à la croisée des chemins. Crash test…

Le 1er août 1981, à minuit une, Video Killed the Radio Star des Buggles inaugure l’antenne. Révolution dans le monde de la télévision, grand chamboulement dans celui de l’industrie du disque: MTV invente le concept de chaîne musicale. La planète entre dans l’ère du clip. Et la musique, plus que jamais, dans celle de l’image. Elle était déjà une habituée des pochettes, la bagnole flirte désormais avec le rock dans nos écrans de télé. La plupart des groupes de l’époque n’utilisent dans un premier temps ces vidéos que comme un moyen de se mettre en scène et de se faire mousser. Un ego trip encouragé par la nature même du rock business. Emmené par des mecs aux cheveux longs permanentés et aux tablettes de chocolat proéminentes, le glam métal (Mötley Crüe, Poison et compagnie), est une bénédiction pour MTV. Les groupes s’y présentent sous leur meilleur jour. Sous le soleil, dans des bagnoles de course, au bras de filles court-vêtues. L’occasion pour la chaîne de véhiculer une vibe positive sans propos artistique encombrant et avec assez de nudité pour maintenir l’attention des téléspectateurs. Le glam métal est le miroir déformant de l’Amérique. Un pays où règne l’insouciance, rugissent les belles voitures et gémissent les filles faciles…

La Hellamobile
La Hellamobile

Des pochettes de Forever Blue et de Christmas à sa promenade en voiture avec Sailor et Lula (Lynch a lancé la carrière du crooner en utilisant Wicked Game dans son mythique road-movie), le surfer averti et ancien boxeur amateur Chris Isaak doit, dans un autre genre, beaucoup aux belles tires. Quand en 1989 le Californien sort son troisième album ( Heart Shaped World), sa maison de disques le trouve si peu commercial qu’elle décide de ne pas en assurer la promotion. Les huiles de Warner ne virent pas le beau crooner mais l’utilisent au bureau pour déplacer des choses lourdes et parquer les voitures.  » Puis le disque sort et j’ai un tube, a-t-il raconté à propos de cette période. Là, ils m’ont dit: « Chris, ce serait bien que tu arrêtes de garer les caisses. Question d’image, tu vois? Une star comme toi ne fait pas ce genre de boulot. » J’ai garé la voiture de tous les grands et permets-moi de te dire que Madonna et Prince sont des vrais radins. Toujours le minimum de pourboire… » Si chez nous, Isaak sert à vendre des vêtements H&M, des Kinder Bueno et des produits laitiers, ses chansons accompagnent aux États-Unis des publicités pour plusieurs marques de bagnoles. De Jaguar à Alfa Romeo. Bagnoles, rock et clip. Bagnoles, rock et pub… Lors du dernier Superbowl, c’est Steven Tyler qui prenait le volant d’une Kia. Le chanteur d’Aerosmith retrouvait sa jeunesse en conduisant une Stinger GT à l’envers. Effet plus réussi qu’avec sa chirurgie esthétique. Rois du clip et de la com, les Américains d’OK Go ont été jusqu’à conclure un partenariat avec le constructeur Chevrolet pour la vidéo de Needing/Getting (2012). Ils se sont entraînés quatre mois durant et le leader Damian Kulash a suivi des leçons de conduite extrême. La voiture dans laquelle ils slaloment, la Chevy Sonic, se transforme en musicien équipé de bras rétractables qui vont toucher 288 guitares, 55 pianos et 1 155 instruments de musique faits maison. Dingo.

Kiss
Kiss

Créé en 1993, un maga comme Gearhead incarne une passion nettement moins artificielle et gadget entre le rock et la voiture. Gearhead, exemple assez unique comme il s’en vante du journalisme automobile, invite dans ses colonnes Pere Ubu, les Melvins, des membres d’Agnostic Front, des New York Dolls, de Metallica… Un mix de punk et de garage, de pop culture vintage et de bagnoles rutilantes. Tel Batman et sa Batmobile, quelques groupes garage justement ont leur caisse personnalisée au tournant des années 80 et 90. Les sauvages Mummies (à l’affiche du dernier Sjock Festival) voyagent avec leur surf rock à bord d’une ambulance Pontiac de 1963. Les Hellacopters ont leur Hellamobile… En 2011, les grand guignolesques Kiss (Gene Simmons flirte par ailleurs avec la Fédération de Nascar) mettront eux en vente des Mini à leur effigie, reproduisant fidèlement leur maquillage, pour une oeuvre caritative. L’Unicef leur dit merci.

OK Go
OK Go

Anti-voitures

On ne va pas refaire l’Histoire de l’autoradio (sacré Keith Richards, qui avait une platine sur son tableau de bord) mais une étude britannique a démontré que la musique qu’on écoutait avait une influence non négligeable sur notre façon de conduire. Vivaldi, Jack Johnson et Adele auraient des effets bénéfiques et calmeraient le conducteur. Il vaudrait mieux par contre ne pas écouter Firestarter de Prodigy et Sabotage des Beastie Boys lorsque vous êtes au volant. On voit ce que ça donne dans le clip, tourné par Spike Jonze. Un clin d’oeil aux séries et films policiers des années 70 où les Beastie partagent la gloire avec une Ford LTD de 1979.

Steven Tyler
Steven Tyler

Les rapports entre le rock et la bagnole se font en même temps plus conflictuels. Dès 1977, la chanteuse des Avengers, un groupe punk californien, pleure son compagnon décédé au volant et lui reproche son insouciance ( Car Crash). Quelques années plus tard, les Minutemen intitulent leur troisième album Double Nickels On the Dime. Le nom du disque et son artwork font écho au single insipide de Sammy Hagar I Can’t Drive 55.  » Double nickels » signifie 55 miles de l’heure. La limite de vitesse nationale à laquelle roule Mike Watt sur la pochette. Une manière d’affirmer qu’il préfère vivre en sécurité et jouer de la musique radicale que l’inverse. Des ronronnements de moteur enregistrés avec les véhicules de chaque membre du groupe ouvrent chaque face du double album. Comble de l’histoire, leur leader D. Boon trouvera la mort le 23 décembre 1985 dans un accident de van…

The Mummies
The Mummies

Il y a aussi les anti-voitures anglais chez qui les thèmes des nuisances et de la pollution viennent se greffer à celui des dangers de la vitesse. Alors que de plus en plus de monde succombe aux charmes automobiles, pas mal de punks rejettent ce pseudo-symbole de modernité et de liberté. Si les Buzzcocks n’aiment pas les voitures rapides ( Fast Cars), les Desperate Bicycles haïssent les bagnoles. « Les bagnoles bruyantes qui démarrent près de notre fenêtre. Les voitures ennemies qui consomment notre oxygène et nous empoisonnent au plomb… » Les anarchistes de Crass pointent très vite son caractère aliénant, comme l’expliquent Fabien Hein et Dom Blake au coeur de leur ouvrage Ecopunk: les punks, de la cause animale à l’écologie radicale.  » Dans Deadhead (qui signifie « nullité » en parlant de quelqu’un mais prend aussi, aux Etats-Unis, le sens de « véhicule circulant à vide »), sorti en 1981, en plein marasme social thatchérien, la prolifération de l’automobile semble une métaphore de la résignation et de la soumission au système. »

Dans les années 90, certains comme les Écossais d’Oi Polloi vont appeler à l’action directe. « Nous franchirons les barrières en nombre. Nous stopperons cette route. Menottés aux engins de chantier… » ( No More Roads). À l’époque, un mouvement comme Reclaim the Streets (inspiré de Stop the City dans les années 80) a pris de l’ampleur. On bloque des bouts de rue et des tronçons d’autoroute avec des événements festifs souvent accompagnés de musique punk. En juillet 1996, 8 000 activistes se retrouvent même sur une autoroute de Londres à défoncer le bitume à coups de marteaux-piqueurs pour y planter des arbres. Reclaim the Streets, le groupe anarcho-punk canadien Propaghandi en a fait un disque (1998). Le livret contient une diatribe contre l’industrie automobile sur fond de voiture accidentée. Les revenus serviront à organiser une manif. Aux États-Unis, les anti-voitures sont virulents et se développent parallèlement. Via le skate punk notamment. On parle de récupérer de la force physique, de réinvestir les espaces urbains, de réenchanter le béton… Certains se lancent dans des tournées à vélo, parfois même à pied, pour joindre le geste à la parole.

Neil Young et sa LincVolt
Neil Young et sa LincVolt

Collectionneur passionné par les vieux tacots, Neil Young déclarait en 2013 préparer deux livres. L’un sur toutes les voitures qui ont traversé sa vie. L’autre sur le prototype d’automobile propre qu’il a conçu: la LincVolt.  » Avec l’aide de quelques amis ingénieurs, j’ai réussi à transformer le moteur d’une Lincoln Continental de 1959, connu pour être très polluant, pour ne plus lui faire consommer de carburant, détaillait-il au Journal International. La LincVolt fonctionnait à la fois avec un biocarburant et de l’électricité. » Elle l’a abandonné en plein milieu du désert… « La Terre est précieuse. Elle est comme un énorme vaisseau qui fonce droit dans le mur si on ne fait rien. J’aime les voitures anciennes, mais je me sens un peu coupable quand je vois la consommation de ces vieilles machines. Si on peut aboutir à ça avec une voiture de six tonnes de 1959, imagine ce qu’on peut faire avec les voitures d’aujourd’hui! La LincVolt prouve que nous n’avons pas besoin de pétrole. » C’est déjà très bien avec des idées…

ZZ Top Eliminator

Auto-tune (2/6): rock'n'roll et voiture, à la croisée des chemins

Ses clips et les pochettes de ses disques parlent d’eux mêmes. Billy Gibbons, le fondateur et guitariste texan de ZZ Top, est un passionné de vieilles bagnoles. C’est d’ailleurs une Ford coupé de 1933 modèle B V8, customisée en Hot Rod rouge, qui sert d’emblème aux plus célèbres barbus de l’Histoire du rock. Achetée à une petite vieille du côté de Tucson, Arizona, en 1979, le spécimen est inspiré par la Kustom Culture américaine des années 50. Gibbons est fasciné par le modèle depuis qu’il l’a découvert dans The California Kid avec Martin Sheen (1974). Billy fait transformer la bestiole par les hot-rodders Pete Chapouris et Jake Jacobs. Les membres du groupe passent surveiller la progression des travaux entre leurs concerts. Présentée sur Sunset Boulevard en 1982, la monture va participer à leur légende et déboucher sur l’album Eliminator. La bête rutilante apparaît sur la pochette du disque et dans les trois clips principaux qui l’accompagnent ( Gimme All Your Lovin’, Sharp Dressed Man et Legs). Dix millions et le reste d’exemplaires vendus… ZZ, au top, tient son plus grand succès et transformera pour son disque Afterburner la Ford Eliminator en vaisseau spatial. Billy est devenu tellement fan de tôle et de véhicules personnalisés qu’il anime depuis 2016 une émission sur le sujet, Rockin’ Roadsters, sur Discovery Channel. Accompagné de l’artiste et constructeur Jimmy Shine, Gibbons sillonne les casses à la recherche de Cadillac et autres Rolls Royce pour les sauver d’une mort certaine et les relooker façon Pimp My Ride. Billy choisit les modèles et redessine la carlingue. Son comparse s’exécute. Si Gibbons dispose toujours d’un clone de la ZZ Top Eliminator, l’originale est exposée au Rock and Roll Hall of Fame à Cleveland. Si vous passez par là…

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