Loud: « Je ne suis qu’un rappeur, pas le sauveur de la langue française »

"Je ne suis qu'un rappeur, je ne suis pas le sauveur de la langue française, ce n'est pas mon rôle." © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À l’instar de la scène belge ou suisse, le Québec bouscule à son tour le rap francophone. Exemple avec Loud, rap de Montréal en franglais dans le texte, en accent dans le flow. Ça va jaser

Ca ne se voit pas tout de suite. Mais Loud peut difficilement renier ses origines. Ce n’est pas seulement une question d’accent. Casquette invariablement retournée, cheveux mi-longs, le rappeur québécois attend dehors, assis sur des marches, à la sortie de la Gare centrale, à Bruxelles. Il pourrait se fondre sans difficulté dans le décor s’il n’y avait cette vague dégaine slacker, et ce regard un peu las, qui, bien plus que d’un film de banlieue français, lui donnent l’air de sortir d’un long métrage de Larry Clark. Francophone, certes, Loud est aussi nord-américain.

Il est également une exception. Dans un paysage rap francophone en pleine mutation, il est en effet devenu ces derniers mois « le Québecois qui a réussi à se faire un nom à Paris ». C’est une grande première pour une scène qui n’avait jamais vraiment réussi jusqu’ici à traverser l’Atlantique. Il a fallu le titre 56K« Entouré de désaxés, chaque jour est le Jour J/On s’apprête à rouler sur Paris/Smell that new cheese »– pour débloquer la situation. Le clip est un long plan-séquence où le rappeur arpente un hangar pour avions, se promenant entre les jets privés. Surprise: quand le compteur des vues YouTube a commencé à s’affoler, le rappeur a pu constater qu’une bonne part des clics (70%) venaient de l’étranger, et quasi exclusivement de l’Hexagone. De quoi tenter le coup sur le Vieux Continent.

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À la faveur d’ Une année record, son premier album solo paru en Europe au début de l’année, l’offensive est donc lancée. Rapidement, les retours confirment l’intérêt. Les Inrocks, par exemple, embraient en parlant du « rappeur québécois que tout le monde attendait », tandis le site spécialisé Booska-P glisse Loud dans son classement des rappeurs à suivre en 2018. Dans la foulée, les premiers concerts parisiens sont rapidement complets. En Belgique aussi, l’intérêt se confirme. Après une date lors des dernières Nuits Botanique, et une FiftyFifty session avec Veence Hanao le mois passé, Loud repassera encore cet été par le festival de Dour, avant de revenir au Reflektor à Liège, en décembre (le 13). Loud aurait-il trouvé la clé pour permettre au « rapkeb », comme on l’appelle, de se faire une nouvelle place dans le rap jeu francophone?

Montréal confidential

Loud est loin d’être un nouveau venu. Fils de profs, Simon Cliche Trudeau de son vrai nom est né il y a tout juste 30 ans, à Montreal. Il grandit dans le quartier calme d’Ahuntsic, au nord de la ville. Si la chanson et le rock indie restent les principales marottes des radios locales, lui commence à se passionner très tôt pour le hip-hop. Le rap américain surtout: de Nas au Wu Tang Clan en passant par Jay-Z ou Mobb Deep -à treize ans, il achète l’album Hell On Earth, et n’en est toujours pas vraiment revenu (« Enterrez-moi sur du Prodigy », raconte-t-il sur Devenir immortel). Et le rap français dans tout ça? « J’ai écouté les classiques des années 90: NTM, IAM, etc. Puis, j’ai quand même capté des trucs comme Booba évidemment. Mais à la base, c’est surtout les rappeurs américains qui ont formé mon goût pour le hip-hop. » Ceux de la côte Est principalement. Logique: après tout, New York n’est qu’à quelques heures de char.

Loud:

C’est en secondaires qu’il rencontre Laurent Fortier-Brassard, comme lui fondu de rap. À deux, ils alignent leurs premières rimes. Simon, sous le nom de Loud; son camarade sous celui de Lary Kidd. Quand ils rencontrent le DJ-producteur Ajust (Alex Guay), le trio Loud Lary Ajust est ajusté. Sous cette appellation, ils sortent un premier album en 2012, intitulé Gullywood, contraction d’Hollywood et du mot gully, argot anglais qui désigne quelque chose d’authentique, issu directement de la rue. Soit un bon résumé des tropismes classiques du rap, entre fantaisie à paillettes et poésie du bitume. Deux ans plus tard, ils sortent encore Blue Volvo. « Ados, on avait un pote qui avait une voiture. C’était le seul. On embarquait et on se tirait de la ville, pour aller boire, fumer. C’est devenu une sorte de mythe, un symbole de notre adolescence, entre les désillusions, l’ennui et l’envie quand même de mouvement. Cela résumait bien l’esprit du projet, qui traitait de la débauche, de la perte de l’innocence, l’abandon de tout code moral, etc (rires). »

Vue de l’autre côté de l’Océan, Montréal apparaît souvent comme un îlot de tranquillité, une ville cosmopolite où il fait bon vivre, l’une des plus sûres d’Amérique du Nord. « Ce qui est le cas. Mais les gens qui débarquent ont aussi souvent tendance à résumer la ville au Plateau (le quartier arty bohème, en voie de gentrification avancée, NDLR). Alors que Montréal n’est pas que ça. » Elle compte aussi des histoires de mafias, de gangs de motards et de bandes urbaines. Comme dans le morceau Il était moins une, où Loud raconte: « Meanwhile à Montréal, ça tirait en plein jour/Une couple de Hell’s Angels/Contre des gars en Timberland jaunes. » « C’était le genre d’histoires dont on entendait parler dans les journaux pendant notre adolescence. »

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Accent compris

Au-delà de ses récits abrasifs d’une jeunesse paumée (« Ok, step back, faites place pour la jeunesse/Complètement perdu, complètement perdu/Le cocktail de drogues a fait effet/Une fascination pour l’excès », sur XOXO), Loud Lary Ajust marque surtout les esprits pour son mélange de français et d’anglais. Vu d’ici, le mix sonne particulièrement exotique. Dans un Québec où la défense de la langue de Voltaire est vue comme une cause nationale, cette « créolisation » fait toutefois nettement plus mauvais genre. « Pendant deux, trois ans, on n’a pas donné une seule interview qui ne parlait pas de ça. » C’est peu dire que le sujet est sensible, les plus réfractaires au franglais du trio leur reprochant de céder à l’impérialisme anglophone, et de mettre carrément en danger l’identité québecoise. « D’abord, je ne suis qu’un rappeur, je ne suis pas le sauveur de la langue française, ce n’est pas mon rôle. Ensuite, c’est la caractéristique du rap de refléter la réalité. Et pour les jeunes comme moi, dans les faits, cela veut dire des conversations où les deux langues se mélangent déjà au quotidien. Ce serait me trahir, ou me travestir, que de commencer à rapper uniquement en français. Au-delà du franglais, ce qu’on propose c’est d’abord une manière de s’exprimer, et même un argot parfois, qui sont intimement liés à cette ville: on a déjà remarqué que plus on s’éloignait de Montréal, moins on nous comprenait. »

Loud:

Ce particularisme, Loud avoue l’avoir toutefois un peu aménagé. Depuis qu’il s’est lancé en solo, il a tendance à réfréner notamment ses anglicismes – « cela devenait un peu trop facile ». La démarche est aussi une manière avouée de rendre le propos « plus lisible ». Raccord avec le zeitgeist du moment -le rap est la nouvelle pop-, Une année record se révèle en effet plus ouvert et accessible. Avec un morceau comme Toutes les femmes savent danser et ses inflexions dancehall , celui qui se retrouve aujourd’hui à poser sur l’album variété de sa compatriote Coeur de pirate se laisse même la possibilité d’un tube grand public…

Mais si les frontières s’ouvrent et les barrières musicales se floutent, cela ne veut pas dire que les spécificités disparaissent. Pour l’oreille francophone européenne, Une année record reste un disque particulier. Ne serait-ce que par l’accent que Loud n’a jamais voulu gommer. Dans Devenir immortel, il rappe: « Oh, tu voulais percer en France, hein? / Du coup, t’as largué ton accent / T’as truqué ta voix comme T-Pain / Né pour un p’tit pain, mort pour un croissant. » Aujourd’hui, on a d’ailleurs l’impression d’assister à un renversement de paradigme: ce qui était un frein est devenu presque un argument de vente. Désormais, les singularités régionales n’empêchent plus de toucher le global.

Cela ne vaut d’ailleurs pas que pour le rap québécois. On l’a vu ces trois dernières années avec la scène belge en plein boom. Ou encore avec les rappeurs suisses qui d’anomalies de la scène hip-hop francophone sont devenus les nouveaux électrons libres, outsiders rafraîchissants et décomplexés. À Couleur Café, trois têtes de pont du hip-hop helvétique seront ainsi de la partie: Slimka, Di-Meh (qui a invité Roméo Elvis sur son dernier titre, Ride), et Makala (présent sur le 243 Mafia d’Isha). Comment se fait-il que ces trois scènes considérées jusqu’ici comme marginales aient pris une telle importance? Comment expliquer qu’elles émergent toutes au même moment? Pur hasard? Le Net a certainement joué un rôle. Mais lequel exactement? Loud livre son idée sur la question. « C’est sûr qu’Internet a facilité et accéléré les échanges. Mais plus largement, c’est un état d’esprit que l’on retrouve dans tout le rap actuel. Dans le rap US, la tendance est quand même d’aller chercher des influences ailleurs. Du côté des Caraïbes notamment, de la Jamaïque, etc., mais aussi de l’Angleterre, comme quand Drake bourre son dernier album d’invités britanniques. C’est un peu la même chose qui se passe en France, avec toutes les sonorités africaines de rappeur comme MHD. Ou même la montée en puissance de la scène belge. Je peux imaginer que son succès a mis la puce à l’oreille de l’industrie, qui se rend compte qu’il faut aller puiser des trucs à l’extérieur. C’est un peu comme si, dans un marché saturé, ils cherchaient une sorte d’exotisme. Un morceau comme 56K, c’est un peu ça: un truc qui sortait de nulle part, mais qui, en même temps, était déjà pro. Sans le vouloir, on est arrivés au bon moment. »

Loud, Une année record, Distr. Joy Ride.

Le 13/07 au festival de Dour, et le 13/12 au Reflektor, Liège.

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