Car-sharing

Joff Winterhart dresse le portrait de deux hommes solitaires cherchant chacun à leur manière un sens à l’existence. Poignant et drôle.

 » Après trois tentatives universitaires avortées, une période infructueuse en freelance et la dépression nerveuse qui s’ensuivit je prenais un nouveau… nouveau départ. » À 27 ans, Sam ressemble toujours à un ado. Grand, maigre et maladroit, il peine à trouver sa place dans le monde des adultes. Comme si Le Tout-Puissant s’était assoupi au moment de distribuer les cartes du destin. Le voilà donc de retour chez sa mère dans cette petite ville d’Angleterre sans charme, avec pour seule boussole cette ligne de conduite:  » Chaque tentative de gagner de l’argent en faisant quelque chose qui me tenait à coeur ou me plaisait s’était soldée par un désastre… Il s’agirait donc de trouver un petit boulot, un gagne-pain, en faisant quelque chose dont j’ignorais tout et qui me ne me disait rien. C’était là le projet. »

Aussi, quand sa mère lui apprend qu’un cousin de son père -lequel a quitté le navire familial depuis belle lurette- a peut-être du travail pour lui, le jeune homme ne peut se défiler, sous peine d’engloutir les derniers restes d’estime de soi. Difficile pourtant d’imaginer que ça puisse coller entre ce grand dadais lunatique et ce quinquagénaire court sur patte et bedonnant à cheval sur les principes. D’autant que le boulot d’assistant que Keith Knutt réserve à Sam implique une promiscuité de tous les instants: son job consiste en effet pour l’essentiel à tenir compagnie au patron de la petite société spécialisée dans les filtres industriels lors de ses tournées dans la région. Quand il ne poireaute pas sur les parkings de zonings, il écoute son aîné raconter ses anecdotes sur son passé et sur les connaissances qu’ils croisent en route. Et tous les jours à la même heure, ils font une halte à la boulangerie pour acheter leur friand à la viande. Une routine rassurante et bien huilée…

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Le dieu des petits riens

Contre toute attente, la cohabitation, d’abord suspicieuse, évolue vers une forme de bienveillance mutuelle. Même s’il ne manque pas de lui faire des reproches, sur ses cheveux trop longs ou sur son manque de rigueur notamment, Knutt semble déterminé à sauver cet oiseau tombé du nid, comme s’il se sentait investi d’une mission. Quant à Sam, il tente de faire bonne figure. Entre deux rêveries, il recueille les indices d’un mal-être tapi derrière la façade bourrue de son patron, pour lequel il finit par éprouver une forme d’empathie. Comme lui, il est empêtré dans la solitude et tente de sauver du naufrage une existence terne et insipide. Knutt est le miroir qui reflète le gars un peu pathétique qu’il pourrait devenir s’il ne se secoue pas les puces.

Joff Winterhart avait déjà démontré un talent singulier pour faire pousser la tendresse entre les dalles de la banalité dans L’Été des Bagnold. Épaulé par son trait réaliste aux reflets bleutés, l’Anglais n’a pas changé la recette intimiste d’une narration poreuse aux grimaces, tics, regards absents et autres ponctuations du langage corporel. Une attention aux petits riens qui irrigue cette comédie douce-amère déterrant des trésors d’humanité sous les couches de civilité. Très british dans sa distanciation ironique permanente, elle emprunte aussi aux codes du cinéma indépendant américain, notamment dans son rapport dilaté au temps. Ou dans ces formidables dialogues teintés d’absurde qui ouvrent des portes dérobées dans ce monde gélatineux. Et laissent filtrer une lumière douce et chaleureuse.

Courtes distances

De Joff Winterhart, éditions ça et là, 128 pages.

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