TV, game over?

Julien Annart, détaché pédagogique et responsable de la coordination des espaces jeu vidéo au Quai 10 à Charleroi, est spécialiste des questions de gamification et de transmédia.

L’entrée de la gamification dans l’univers des séries et le transmédia signent-ils la fin de la télévision telle que nous l’avons connue?

L’idée de créer des ponts entre différents médias, de fusionner les formats n’est pas neuve. On nous en parle depuis plus de 20 ans. Souvenons-nous de ces termes qui semblaient rimer avec futur: multimédia, crossmédia, CD-Rom… Dans les faits, du point de vue de la consommation de masse, ça n’a jamais vraiment marché, ou pas longtemps. Il y a eu des expériences folles, géniales même, en termes d’esthétique, d’idées créatrices. En termes de chiffres, d’influence directe, on reste malgré tout dans du classique, sans bouleverser la chronologie des médias. La technophilie actuelle a tendance à aveugler une certaine frange du public qui oublie que ces expériences sont anciennes et ont toutes été abandonnées. Mais c’est comme si du côté des créateurs et des producteurs, ainsi que des commentateurs, on avait peur de louper le coche: « au cas où ça marche, rangeons-nous du côté des enthousiastes! »

Il y a déjà eu des tentatives significatives?

Depuis les années 90, la télévision teste des format de séries interactives qui invitent le spectateur à choisir parmi plusieurs suites possibles à l’histoire. Téléphone, Minitel (en France), aujourd’hui smartphones, tablettes et réseaux sociaux: rien n’a été vraiment pérenne ou couronné de succès. Dans les jeux vidéo il y a eu des tentatives, dans le monde de la VR (réalitué virtuelle), de sortir les contenus en formats classiques. Si l’impact de ce découpage peut donner de résultats peu satisfaisants en télé en termes de fluidité et de richesse narrative, dans le jeu vidéo, c’est moins grave: l’histoire importe moins que le gameplay et son expérience.

L’interactivité recherchée par ces formats n’est-elle pas déjà à l’oeuvre sur les réseaux sociaux? Avec les théories sur des personnages ou des scènes de série sur YouTube, les tweets qui commentent des programmes en direct, les lives Facebook, etc.?

Les gens qui balancent des commentaires simultanément sur Twitter ou d’autres réseaux sociaux ont en effet une plus grande réactivité que la plupart des outils imaginés par l’industrie pour susciter l’interactivité. Il y a en revanche des choses fantastiques qui ont été tentées par des acteurs audacieux. Je songe à About: Kate sur Arte, qui jouait l’immersion via la télé, les tablettes et les smartphones. Ou L’Homme au harpon, pour la RTBF. Mais au final, d’un point de vue industriel ou financier, le transmédia n’a toujours pas pris. On observe sur YouTube une manière de réagir aux séries, aux jeux vidéo qui donne une nouvelle forme d’interaction. Mais recréer ça sur un support dédié, géré en amont, c’est très compliqué.

Du point de vue des modes d’écriture, l’interpénétration entre jeux vidéo et séries ne donne-t-elle pas déjà des résultats?

Certains jeux vidéo épisodiques, très narratifs, où chaque épisode dure une heure, reprennent les codes et le format des séries télés. Le meilleur résultat en la matière, d’après moi, est le jeu français Life Is Strange. Aux États-Unis, l’éditeur Telltale a adapté la série Walking Dead en jeu épisodique et interactif. ça avait suffisamment marché pour imaginer de le refaire avec d’autres licences. Notons encore Enterre-moi mon amour, au croisement du jeu vidéo et de ces livres « dont vous êtes le héros », qui se joue en temps réel et propose un mode d’écriture novateur. Mais si les supports peuvent se croiser de manière subtile, pour ce qui est des publics, ce n’est pas encore gagné.

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