Ai Weiwei: réfugiés sans frontières

Human Flow, tourné pendant un an dans 23 pays. © DR
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Après lui avoir consacré photographies et installations, Ai Weiwei livre avec Human Flow un documentaire-inventaire sur la crise des migrants… Rencontre.

On ne présente plus l’artiste et activiste dissident chinois Ai Weiwei. Désormais exilé à Berlin, celui que ArtReview Magazine a un jour baptisé « the most powerful artist in the world » n’en finit plus de s’exprimer sur les fronts les plus divers. Démonstration en ce début d’année, où son actualité belge est double, avec la rétrospective que lui consacre le musée de la photographie d’Anvers (1) mais aussi la sortie sur nos écrans de Human Flow, le documentaire-somme qu’il a consacré à la question des migrants.

La crise des réfugiés, Weiwei s’y était déjà intéressé par le passé, tant par son travail photographique que dans des installations -on se souvient ainsi de celle qui l’avait vu recouvrir, en février 2016, les colonnes de la Konzerthaus de Berlin de 14.000 gilets de sauvetage ayant appartenu à des migrants arrivés sur l’île grecque de Lesbos. Human Flow est sensiblement différent qui, tourné pendant un an dans 23 pays, tient en quelque sorte d’un inventaire d’une question envisagée dans son ampleur catastrophique. « Au départ, je ne savais pas quoi faire, tout en ayant l’intuition qu’une oeuvre d’art classique ne pourrait pas rendre compte d’une telle situation, explique l’artiste, rencontré à Anvers . Il fallait trouver un langage pour appréhender cette réalité, qu’il s’agisse d’un nouveau média ou d’une approche inédite. J’ai eu le sentiment qu’en filmant, on enregistrerait un maximum d’informations. Et nous nous sommes lancés, sans savoir ce qui en résulterait, parce que j’ai toujours procédé en documentant les choses de la sorte. Le sujet s’est rapidement avéré bien plus vaste que nous n’avions pu l’imaginer. Il ne s’agissait pas simplement de sérier les réfugiés, mais aussi d’envisager leur condition à travers l’Histoire, de réunir des éléments objectifs, et d’explorer ce qui se produisait en France comme en Afghanistan, en Irak comme en Jordanie ou au Liban. L’idée était plus de cerner la condition de réfugié dans sa globalité que de montrer des images choc. Nous avons préféré porter notre attention sur la dignité humaine plutôt que sur des événements particuliers. »

Ai Weiwei: réfugiés sans frontières

Le résultat est éloquent, Weiwei s’attachant aux parcours de vie, à quoi se greffent des informations brutes mais aussi des emprunts fréquents à la poésie, en quelque héritage familial sans doute, son père n’étant autre que le poète et intellectuel Ai Qing. « Très souvent, la poésie est en mesure de cerner les choses importantes et de parler à l’imagination des gens. Rien ne peut la surpasser sur la compréhension de la condition humaine et de sa souffrance. Nous avons adopté une structure poétique, en sautant d’une image à l’autre: ce film n’est ni un roman, ni une nouvelle, il relève plus de la poésie. » Non sans orchestrer au passage la cohabitation entre art conceptuel -avec notamment un recours saisissant aux drones- et réalité humaine.

Sur les traces de Tintin

Afin de partager celle-ci au mieux, l’artiste a choisi de se mettre en scène en diverses occasions -une constante pour celui qui n’a cessé de documenter sa propre existence dans son oeuvre. Si ses détracteurs y verront l’expression d’un nombrilisme exacerbé, Ai Weiwei avance une explication: « Je n’avais pas l’intention d’apparaître à l’écran, afin de rester plus objectif. Mais au montage, nous nous sommes rendu compte qu’il était préférable qu’on me voie, sans quoi on avait l’impression de regarder un documentaire d’une chaîne historique. Ma présence permet d’indiquer au spectateur que la perspective envisagée m’appartient et que ses conclusions ne sont pas nécessairement justes. Il s’agit du point de vue d’une personne attirant l’attention sur une immense tragédie. En Belgique, vous avez les aventures de Tintin, un personnage qui introduit le lecteur à une situation globale. Il se rend en Inde, en Chine, est plutôt innocent et naïf, mais son approche paraît plus fiable aux gens parce qu’il s’agit de sa propre expérience. » Et l’un des grands mérites du film réside assurément dans sa capacité à éveiller les consciences face à un problème dont l’urgence nous est rappelée quotidiennement. « Ces tragédies sont provoquées par les hommes, il importe d’y apporter une solution. Sans quoi ce sera pire encore pour les générations à venir… »

(1) Ai Weiwei: Mirror, exposition photographique au FOMU, Anvers, jusqu’au 18/02.

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