En 2012, la débutante Julia Deck voyait son premier roman publié d’emblée aux éditions de Minuit -devanture élitiste et intimidante s’il en est. Viviane Élisabeth Fauville racontait la manière dont une jeune femme croyait se souvenir d’avoir peut-être tué son psychanalyste à l’aide d’un couteau de cuisine. Un petit livre parfait. Après Le Triangle d’hiver en 2014 (une fille perdue y empruntait l’identité d’une héroïne d’un film d’Éric Rohmer), voici aujourd’hui Sigma. Une vaste organisation mondiale secrète tente d’y neutraliser l’effet perturbateur d’un tableau perdu qui risque de refaire surface. Le monochrome, hautement subversif, est signé Konrad Kessler, maître de la peinture allemande, et il menace ni plus ni moins que l’ordre social. Des agents spéciaux sont dépêchés pour neutraliser quatre « cibles »: une galeriste (Elvire Elstir, comme chez Proust), un chercheur (Lothaire Elstir, auteur d’une théorie inédite sur les liens entre accès à l’orgasme et pouvoir), une actrice (Pola Stalker, comme chez Tarkovski), et un PDG de la banque Berghof (comme chez Thomas Mann). Particulièrement soignés sur la forme, leurs rapports de missions successifs tiennent lieu de roman. Satire du monde de l’art, Sigma enquête en réalité surtout sur la mise en place de la littérature elle-même, déplaçant ostensiblement ses êtres de papier (suspects, pions, acteurs) et levant le voile sur les coulisses et les trucages de sa mégalomane fiction. Un petit théâtre référencé et réflexif, réglé comme une horloge… suisse. « La patrie spirituelle des espions de naissance« , comme aime à le dire John le Carré, justement cité en exergue de ce livre en trompe-l’oeil. Réjouissant.

De Julia Deck, éditions de Minuit, 240 pages.

7

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content