Les cendres du temps

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Abordant le transhumanisme au travers d’un texte élégiaque et minéral, Don DeLillo sculpte un sarcophage pour l’être humain 2.0. Saisissant.

Convoqué par son richissime père pour assister à la fin programmée d’Artis, sa deuxième épouse atteinte d’une maladie incurable, Jeffrey découvre la Convergence, un centre de recherches confidentiel dont le milliardaire est l’un des principaux actionnaires. Stupéfait, Jeffrey arpente la base surréelle enfouie au milieu des steppes, décor de science-fiction glacé et lisse où les murs, écrans et portes sont des éléments parmi d’autres d’un schéma global avec, à la clé, la promesse d’une vie éternelle par le biais de la cryogénisation. Soit le fameux Zero K, température du zéro degré absolu à laquelle sont conservés les volontaires appelés à défier la mort pour mieux la dépasser. Alignés nus et flottants dans des cocons transparents, plongés dans un état de stase, les corps attendent pour revenir à la vie. « On ne spécule pas ici. On ne rêve pas, on va droit au but. (…) De la technologie fondée sur la foi. Voilà ce que c’est. Un autre dieu. Pas très différent des précédents, finalement. Sauf qu’on est dans le réel, dans le vrai, avec des résultats. »

Les cendres du temps

Bas les masques

« Tout le monde veut posséder la fin du monde. » Mais à quoi bon et comment vivre si la mort n’est plus au bout du chemin? « Qui sont ces gens, de minute en minute et d’année en année? Ça me donnait envie de rentrer chez moi et d’y rester. » Revenu à sa vie new-yorkaise, Jeffrey dérive alors entre deux jobs, deux îlots d’amour qui affleurent auprès d’Emma. Occupé à la planification des ressources humaines, à la mobilité mondiale, il erre en répliquant postmoderne, shooté « à la drogue fantoche de la technologie personnelle. Chaque pression sur un bouton apporte à mes nerfs l’agressive sensation de découvrir une chose dont l’existence m’était inconnue et inutile (…) » Le thème du transhumanisme, du posthumain, pouvait-il échapper à l’auteur de Cosmopolis? Avec une économie de moyens, une épure saisissante, la clarté de la vision de DeLillo évoque la beauté désolée du Blade Runner 2049 signé Denis Villeneuve. On traverse l’oeuvre-miroir comme une nouvelle forme de land art. Dans ce sarcophage minéral, la catastrophe est notre berceuse… Zero K est un court roman autant qu’un long poème philosophique. La langue, comme en suspension cryonique, semble s’y réinventer, prête à défier le passage du temps. Intimement interpellé, le lecteur hésitera peut-être à embarquer dans la capsule nimbée d’une beauté élégiaque et sépulcrale. « La personne, c’est le masque, un personnage créé dans l’agrégat de drames qui constitue votre vie. Le masque tombe et la personne devient vous au sens le plus vrai du terme. Tout un. Le moi. (…) mais êtes-vous quelqu’un sans les autres? » L’amour pourrait-il pourvoir à « un équilibre stable entre moi et mes petites félonies d’autoreprésentation »? La seule chose qui ne soit pas éphémère, c’est l’art. Il n’est pas fait pour un public mais pour exister. Augmenté par le chagrin, confronté aux petites chapelles du désengagement, Jeffrey se demande si l’humain n’est pas, en revanche, devenu obsolète… Et n’a de cesse de nous interroger: mais qui donc es-tu, toi, à la fin? « La moitié du monde refait ses cuisines, l’autre moitié meurt de faim. »

Zero K

De Don DeLillo, ÉDITIONS Actes Sud, traduit de l’anglais (USA) par Francis Kerline, 304 pages.

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