Simon Johannin, bel animal

Simon Johannin © DR
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

Auteur de L’Été des charognes, un premier roman remarqué pour sa violence, sa singularité et sa puissance poétique, Simon Johannin sera l’un des invités à la table de Benoît Poelvoorde à l’Intime Festival de Namur. Portrait de l’artiste en jeune homme.

« Les Quatre Cents Coups en version trash« , « Une Guerre des boutons chez les rednecks« : sorti en janvier dernier, le premier roman de Simon Johannin a suscité les formules et attisé le jeu des références, ailleurs encore rapproché de Céline ou Faulkner, pas moins. Être à tout prix comparé, c’est paradoxalement le sort réservé aux propositions qui désarçonnent. Le lot des nouvelles voix.

L’Été des charognes est de ces livres qui assènent une gifle. Un peu moins de 150 pages pour raconter l’épopée dark et boueuse d’un jeune gars de la campagne profonde, de sa famille et de ses potes entre glande, crasse, précarité, frustrations sociales, préjugés, brutalité domestique, violence tout court. Avec aussi des éclats de lumière et de tendresse (le temps, par exemple, du portrait d’une mère). Et la traduction d’hallucinations sensorielles transparentes de beauté, dans des rencontres avec la nature et le règne animal -omniprésent à chaque page.

Pas de doute: l’entrée de Simon Johannin en littérature a fait parler d’elle. Crâne rasé de frais, petit anneau à l’oreille gauche, grand regard ourlé de longs cils, peau diaphane, large sourire bien aligné: à 24 ans, sa jeunesse est totale, sa détermination aussi, mélange d’impulsivité et de profonde assurance. Et son profil raconte une histoire un peu différente de celles qui font le gros du contingent néoromantique de Saint-Germain-des-Prés. « Dans la littérature contemporaine, il y a beaucoup de livres que je referme rapidement parce que j’ai toujours l’impression de lire la même chose. J’ai écrit un livre parce que ce que je trouvais dans mes lectures ne me convenait pas. J’ai pensé qu’il y avait de la place pour une histoire que je pouvais raconter. Que je pouvais trouver des manières d’écrire qui étaient plus relatives à l’époque. »

État d’alerte

Simon Johannin, bel animal

À l’image de son roman coup de poing, son parcours n’est pas banal. Né dans un petit hameau perdu dans le nord de l’Héraut en 1993, Simon Johannin grandit dans la montagne Noire. Peu avant sa naissance, ses parents ont tout plaqué pour partir y élever des abeilles. Et chercher une autre manière de faire société. De consommer. « On ne mange pas avec de l’argent là où j’ai grandi: il n’y a rien à acheter, c’est trop loin. » Des hectares de terrain pour jouer, du temps pour penser. Mais pas d’Internet, pas de télé non plus. « Ça m’a permis de ne pas être sollicité par tout un tas de conneries. Certaines infos filtraient via des gens qui passaient à la maison. Des gens intelligents, des reporters ou des artistes. J’ai pu me créer des histoires avec des espaces que je ne connaissais pas. » Sa prédisposition à la narration l’emmène naturellement vers la littérature. « La lecture, ça a pété à l’adolescence. Pour pallier la déprime du système scolaire. Comme beaucoup d’adolescents, on attend que ça s’arrête. » Il quittera le bled à 17 ans. « À partir de 15 ans, il y a une faim de tout qui s’installe. Tous les moyens sont bons pour se casser. La ville, j’avais trop d’énergie quand j’y suis arrivé. »

Simon travaille comme vendeur de jouets, « compte les voitures sur les autoroutes« , fait beaucoup d’intérim. Il finit par atterrir à Bruxelles. Moins cher que Paris. Et l’avantage de pouvoir tenter plusieurs écoles publiques sur concours. Il est finalement accepté à la Cambre. « J’ai fait trois ans pour avoir un papier qu’on appelle un diplôme. » C’est là, dans la section Espace urbain qui vise à étudier les manifestations de la ville, que Simon délimite le paysage du livre qu’il a commencé à écrire. « Je viens d’un territoire qui est sensiblement le même que celui du livre. La même nature, la même rudesse des éléments et le même isolement. Il y a un regard criminalisant sur les marges. Forcément, c’est des histoires de vie qui se passent volontiers d’un système établi: ce n’est pas jugé comme normal. Je savais que je pouvais porter un texte avec une histoire comme ça. C’est quelque chose que j’ai en moi, que je connais, que je partage avec d’autres. »

Si le livre a facilement trouvé son thème, puissant par nature, il a aussi fallu lui définir une ligne. Porter un regard neuf sur les espaces du roman. Avant ça, Simon Johannin avait déjà fait paraître un petit recueil de poésie, L’Immobile. « Moi ce qui m’intéresse, c’est raconter des vérités, toucher des choses, créer des langues. Sans en faire trop. Ni avoir rien à prouver. » La sienne, dans L’Été des charognes, est stupéfiante, phrasé organique qui foudroie la rétine. « Je voulais utiliser une langue de l’enfance. Des mots simples comme lumière, comme peau, comme chaleur avec lesquels on peut faire plein de choses. »

Pour L’Été des charognes, il avait besoin d’une mise en état. Dans les oreilles, il s’est donc enfilé PNL. Et Depeche Mode. En boucle. « J’ai besoin de sons, j’aime bien entendre des voix quand j’écris. » Il en est d’autres dont il s’entoure régulièrement: celles qui peuplent les romans de Pasolini, Marilynne Robinson, Le Clézio (débarqué à peu près aussi jeune que lui en littérature). Ou encore Donald Ray Pollock, cet Américain miraculeusement surgi à l’écriture après 40 ans de travail à l’usine. Pour l’instant, quand il n’écrit pas, Simon balade son presque 2 mètres longiligne et sa belle gueule dans l’industrie de la mode. « Ça fait de l’argent facilement. » Mais la vie finit toujours par produire un effet sur un écrivain. « Ce serait facile de ne rien faire. Mais il y a toujours un moment où ça pète. Ça peut être parce que je suis témoin d’une injustice. Ou que je vois quelque chose dans la ville qui m’attrape les tripes. C’est mon travail: un travail de terrain. C’est être en état d’alerte, comme en parle Deleuze. » Gilles Deleuze, justement, qui disait aussi qu’un territoire ne vaut que par rapport au mouvement par lequel on en sort. « Je suis quelqu’un qui marche à l’émotion. J’ai besoin d’être dans des réalités concrètes, prendre des risques, rencontrer des gens qui ne partagent pas ma réalité, me mettre dans des milieux qui ne sont pas les miens. » Simon Johannin présente décidément une disposition prometteuse à la sortie de route.

L’ÉTÉ DES CHAROGNES DE SIMON JOHANNIN, ÉDITIONS ALLIA, 144 PAGES.

• L’INTIME FESTIVAL DE NAMUR, LES 25, 26 ET 27 AOÛT AU THÉÂTRE DE NAMUR WWW.INTIME-FESTIVAL.BE.

Intime, cinquième

Bastien Vivès
Bastien Vivès© OLIVIER ROLLER

Plus ou moins impliqué au fil des éditions et de son agenda de ministre, Benoît Poelvoorde remonte en selle pour la cinquième édition de l’Intime festival qu’il créait en 2012. La formule, qui a fait ses preuves, ne change pas: le temps de trois soirées et deux jours du 25 au 27 août prochains, on verra se succéder écrivains, artistes et musiciens autour de l’intime et de la littérature sur les scènes du théâtre de Namur. Comme chaque année, la programmation annonce des lectures par de grands comédiens (Mon chien stupide de John Fante par Jean-François Balmer, Le Coeur sauvage de Robin McArthur par Céline Sallette, Sur la plage de Chesil de Ian McEwan par Marianne Denicourt…), ainsi qu’une cascade de rencontres avec notamment le prix Goncourt Jérôme Ferrari, Alain Blottière, Martin Winckler, Négar Djavadi ou encore la révélation Simon Johannin. Les excellents bédéistes Mathieu Sapin et Bastien Vivès, l’économiste Felwin Sarr, l’inénarrable Philippe Katerine ont aussi répondu présents… Des images aux mots, du silence au tapage, de l’universel au privé: l’intime, à Namur, on n’a pas fini d’en parler.

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