Quand le chanteur de la Fat White Family joue les rock stars perverses

Lias Saoudi: "Quand je suis arrivé à Londres, il y avait des jeunes filles partout mais aucune ne voulait dormir avec moi. Comment est-ce que tu fais dans cette putain de ville? Ça m'a pris deux ans et demi. Je devrais écrire un bouquin." © CHRIS SAUNDERS
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le chanteur de la Fat White Family Lias Saoudi, devenu Johnny Rocket, joue les rock stars tourmentées et suicidaires avec des quinqas de Sheffield. The Moonlandingz ou le vrai faux groupe le plus narcissique et sulfureux de l’année.

Eurosonic. Son village des artistes au look industriel. Sa cantine. Ses braseros. Sa table de ping-pong. Fraîchement débarqués, Lias Saoudi et Adrian Flanagan sont crevés mais surtout complètement déshydratés… Le surexcité et brillant leader de la Fat White Family, qui a encore les initiales de son alter ego, Johnny Rocket, peinturlurées sur les joues au rouge à lèvres, commande des bières. Tandis que son aîné, bon vivant du South Yorkshire dont la gueule laisse imaginer les excès, semble jouer les chaperons moyennement disciplinés. Disert sur la rencontre entre son projet, The Eccentronic Research Council, et la famille la plus rock’n’roll d’Angleterre.

Johnny « Saoudi » Rocket est le leader de Moonlandingz, vrai faux groupe givré de Valhalla Dale, ville imaginaire à la pointe de Sheffield. Une rock star névrosée, perverse, narcissique et suicidaire. Une espèce de David Bowie cramé qui pisse partout pour marquer son territoire, s’habille avec des sacs poubelle et du papier alu. Moonlandingz sera à Dour. Interplanetary Class Classics est dans les bacs. Accrochez les ceintures et écartez les enfants.

Adrian, comment as-tu découvert la Fat White Family?

J’ai lu une critique qui les qualifiait d’affreux, bordéliques, dépourvus de talent et complètement foireux. Je me suis donc empressé d’acheter leur disque. La première fois que je les ai vus en concert, c’était au Twelve Bar Club à Londres. Il y avait 30 personnes. Les pires dégénérés, ivrognes, junkies et putes que tu puisses imaginer.

Lias: Ceux qu’on met sur notre guest-list aujourd’hui parce qu’ils ne peuvent pas se payer l’entrée…

Adrian: Les uns baisaient. Les autres sniffaient du poppers. Je m’étais pris une énorme claque. Un pote m’avait acheté un ticket pour aller voir The Fall lors de ce séjour et j’avais donné à l’époque des interviews pour un autre disque d’Eccentronic Research Council: 1612 Underture. Un concept album (c’est le seul moyen que j’ai trouvé d’articuler ma pensée), sorte de poème sonore, sur les sorcières de Pendle qui furent jugées en 1612 dans le nord de l’Angleterre et exécutées par pendaison.

Lias: On ne s’est cependant rencontrés que plus tard. Un moment historique. On jouait avec la Fat White à Sheffield il y a trois ans. Les organisateurs nous avaient traités comme de la merde. Ils nous avaient filé deux tickets boissons par personne alors que le concert était sold out. Enfin bref. J’ai voulu me la jouer GG Allin. Je me suis couvert de mes propres excréments pour monter sur scène. Adrian est venu me voir après le concert.

Quand le chanteur de la Fat White Family joue les rock stars perverses
© LAURA MERRILL SARAH

Adrian: J’étais le seul mec prêt à l’approcher. Je l’avais d’ailleurs pris sur mes épaules alors qu’il était nu de la tête aux pieds. Il avait même une petite crotte qui lui pendouillait entre les fesses.

The Moonlandingz était au départ un groupe imaginaire…

Adrian: Je bossais avec The Eccentronic Research Council sur Johnny Rocket, narcissist and music machine… I’m Your Biggest Fan. C’était un disque de spoken word, une espèce de pièce de théâtre. Le personnage de Johnny Rocket raconté par une de ses fans. Je voulais donner un peu de profondeur et de chair à cette rock star égocentrée et j’ai eu l’idée de créer un vrai faux groupe. De confronter l’auditeur à son incarnation.

Pourquoi avoir accepté ce projet? Tu dois être très sollicité…

Lias: Je suis déjà perso assez narcissique. C’était l’opportunité de l’être encore davantage. L’idée de jouer un personnage et d’écrire ces textes me plaisait. C’est un peu comme si je me foutais de ma propre gueule en fait. Ce projet, c’était d’abord l’opportunité pour Saul (Adamczewski) et moi de faire autre chose. Avec la Fat White, on a quand même enchaîné un fameux paquet de concerts pendant trois ou quatre ans. J’en pouvais plus. J’allais crever. Il me fallait un peu de temps. Aller me perdre à Sheffield et enregistrer un disque avec des quinquagénaires m’a fait rentrer dans le droit chemin. C’était plutôt sain et bienvenu. La saison des festivals peut vraiment être atroce pour un groupe. Et quand tu rentres, quand tu as du fric et des problèmes de drogue, ça devient dangereux. Tu as du blé. Tu es en ville. Tout le monde sait qui tu es… La moitié des gens que je connais consomment de l’héroïne ou du crack. Personne ne veut en prendre mais dix livres t’emmènent pour toute la nuit alors que tu dois en claquer six pour une pinte… C’est tragique. Je ne veux pas être dans les parages de tout ça. Je me connais. J’ai été défoncé à la cocaïne pendant des années. Je suis alcoolique. J’ai des putains de mauvaises habitudes et je ne veux pas de celle-là. J’ai flirté avec tout ça. Je ne foutais plus rien. Je ne parlais à personne. J’en étais incapable. De manière générale, de retour de tournée, tu fais la fête tout le temps. Tu peux te retourner la tête et te défoncer le crâne tous les soirs. Je ne l’ai que trop fait.

Adrian: Tu avais besoin de moi pour te sauver de tous ces vampires. Je t’ai apporté un peu de discipline. Je lui ai appris à se lever à dix heures du matin.

Lias: Putain, mec. Je déteste ça. Je hais me lever avant midi. Qu’est-ce que tu veux que je foute dans un studio à dix heures du mat? Franchement? En plus avec des vieux types comme ça.

À quoi fait référence le morceau Neuf du Pape?

Lias: Il a été inspiré par la collection de vins de Sean Lennon qui a coproduit le disque. Il en a vraiment beaucoup. Des bouteilles comme tu en vois dans les supermarchés sans pouvoir te les payer. Le Châteauneuf-du-Pape est pour moi totalement middle class. Tu ne dépenses pas du fric dans des bouteilles de vin à ce prix-là quand tu as des problèmes financiers. Tu bois de la bière. Tu vois ce que je veux dire? Je ne veux offenser personne hein. Mais ce morceau date aussi des événements au Bataclan. Je savais que ça allait arriver. Quand une bombe éclate en Irak, à Tokyo, personne ne change le profil de sa page Facebook. Nous sommes tous français. Nous sommes tous allemands… Pour quelqu’un comme moi issu d’une famille musulmane, c’est dérangeant. Ces événements sont terribles hein. Ne me comprends pas mal. Je ne veux pas en rire.

Adrian: Le gens ne comprennent pas pourquoi un type s’en va canarder une salle de concert en France. Mais c’est évident. Ça ne me choque pas. Ce qui me choque, c’est que ça n’arrive pas plus souvent.

Lias: Tant de gens ont du sang sur les mains ici sans être inquiétés. C’est tragique. Personne ne mérite de crever comme ça mais c’est une putain de guerre. Beaucoup de gens s’en contrefichent tant que tout roule. Tant qu’il y a du Châteauneuf-du-Pape dans la cave et que ça ne frappe pas leur ville, leurs proches. « Je suis Charlie… » Pffff. Si je me fais un jour dézinguer, je ne serai pas si surpris que ça. Bref. C’est une réponse difficile à une question compliquée. Puis je ne veux pas foutre en l’air ma réputation en France. C’est notre deuxième plus gros marché.

Vous n’êtes déjà pas épargnés en termes de réputation…

Lias: Beaucoup m’accusent d’être un marchand de scandales. Les médias passent leur temps à nous qualifier de drogués et de cinglés. Ce n’est pas juste. On observe. On voit ce qui se passe autour de nous. Tu ne peux pas être complètement à côté de la plaque, défoncé tout le temps, et sortir des choses, tourner, tout en continuant à avancer. Puis faut pas croire. On ne se fait pas tant de fric que ça. On ne voulait pas défendre notre disque pendant trois ans. On en avait plein le cul. Donc, on a mis de côté assez d’argent pour pouvoir un peu se retourner. Je n’en pouvais plus mec. Ça fait cinq ou six ans maintenant que je n’avais pas d’appart ni même de clé… Là, j’ai trouvé une maison de cinq chambres à Sheffield pour 700 livres par mois. À Londres, pour ce prix-là, tu as une piaule de deux mètres sur trois. Je veux enregistrer un disque, putain. Pas flipper en me disant que j’ai plus un balle dans six semaines.

Sur Interplanetary Class Classics, on croise notamment Yoko Ono…

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Lias: Elle a bossé directement avec Sean sur la chanson. Généralement, tu ne veux pas tous les garçons bruyants et bordéliques à la maison quand maman est là. Mais je l’ai rencontrée pour la première fois il y a quelques semaines. Elle est très intense. C’était cool de discuter avec elle. Elle chante sur le dernier morceau de l’album. J’aime gueuler. Mais quand je l’ai entendue, elle a quand même 84 ans, je me suis dit: ça, c’est un putain de cri. Je ne sais pas si je serai encore dans les parages à cet âge-là. Je ne sais même pas s’il y aura encore qui que ce soit sur Terre. Je suis déjà bien content avec mes 30 ans.

Vous avez aussi enrôlé Randy Jones, le premier cowboy des Village People?

Lias: Ce mec est hilarant. Je l’ai rencontré dans un bar new-yorkais. On a échangé nos numéros. Et quand on a écrit cette chanson, Glory Hole, je me suis dit: je sais qui je vais appeler. Il est fantastique. Je ne sais pas quel âge il a. Il porte encore son chapeau. C’est un mec super doux. A sweet dirty man. Tu savais qu’avant les Village People, il avait eu un duo avec Grace Jones?

Beaucoup de groupes londoniens disent qu’ils n’existeraient pas sans la Fat White Family…

Lias: J’ai entendu ça. Mais les labels leur tombent trop vite dessus.

Adrian: Je connais. Je suis de Sheffield. Tout le monde s’est mis à imiter les Arctic Monkeys. À insister sur son accent du Yorkshire.

Lias: C’est moins dans le son que dans l’attitude en ce qui nous concerne. Mais tous ces groupes sont beaucoup plus jeunes que nous. Quand j’aurai 50 balais, lorsque je serai désespéré, sans un rond, Johnny Rocket ouvrira pour Goat Girl à Vegas… C’est ça le futur, mon frère.

Tu pourras toujours te reconvertir dans le cinéma ou la peinture…

Lias: Ado, je claquais tout mon fric dans des VHS vierges. Je dévorais le programme télé le lundi. J’avais peut-être 200 cassettes. Taxi Driver, Full Metal Jacket, Apocalypse Now… Je me demande ce que ma mère en a fait. Je n’avais pas vraiment de potes. Alors, je matais deux ou trois films chaque soir. Le premier boulot dont j’ai rêvé, c’était celui de réalisateur. Mais c’était avant que tout le monde ait une caméra dans sa poche. J’ai voulu devenir peintre aussi. Le gouvernement a payé pour que je fasse une école d’art. J’étais dans des espèces d’autoportraits basés sur l’oeuvre d’Egon Schiele. Un truc très narcissique.

On aura droit à d’autres disques de Moonlandingz?

Lias: Cette année, je dois écrire un nouveau Fat White Family. C’est ma priorité numéro 1. Alors, pour Moonlandingz, on verra… Si la Fat White n’est plus à la mode, Adrian risque d’aller chercher quelqu’un d’autre. Genre le chanteur de Cabbage…

Et pour quelques fausses stars de plus…

Alice Cooper

Quand le chanteur de la Fat White Family joue les rock stars perverses

C’est la créature rock ultime. Avec une image si forte, une longévité telle qu’elle a quasi fait disparaître l’homme qui lui avait donné vie. Avant de se transformer (le nom évoque en lui celui d’une petite fille charmante cachant une hachette derrière son dos mais n’est pas, comme il l’a fait croire, celui d’une sorcière anglaise dont il se serait cru la réincarnation pendant une séance de spiritisme), de jouer avec une guillotine, une chaise électrique et du faux sang, Alice Cooper était Vincent Damon Furnier et reprenait les Rolling Stones avec son groupe, les Spiders, dans les années 60. Alice veut montrer à la société américaine les mutants qu’elle a enfantés. « J’espérais que d’autres emboîtent le pas de Bowie, créent des personnages et sautent dans le train du rock théâtral »,dit-il au Rolling Stone. Marilyn Manson a entendu le message…

Ziggy Stardust

Quand le chanteur de la Fat White Family joue les rock stars perverses

Icône glam, apparemment inspirée par Vince Taylor, cherchant à transmettre à l’humanité un message d’amour et de paix, Ziggy Stardust est la plus célèbre star fictive de l’Histoire du rock. « Toutes les ressources naturelles ont quasiment été épuisées. La fin du monde est proche. Ziggy faisait partie d’un groupe de rock mais les gamins en ont marre de cette musique dont on ne peut de toute façon plus jouer puisqu’il n’y a plus d’électricité, résumait Bowie, roi de l’avatar (il a aussi été le Thin White Duke, zombie aristocrate, amoral et arien), à William Burroughs pour le magazine Rolling Stone. Son conseiller lui dit de chanter les infos comme il n’y en a plus. Et les nouvelles sont terribles. Ziggy finit par se prendre pour le prophète venu du futur et des étoiles. » There’s a starman…

MF Doom

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À la mort de son frère, écrasé alors qu’il tente de traverser une autoroute, Daniel Dumile pète un plomb. Les deux frangins s’étaient déjà fait un nom (KMD) dans le milieu du rap mais Elektra, peu amène, refuse de sortir leur deuxième album Black Bastards. Daniel tombe en dépression, vit comme un SDF, dort sur les bancs de Manhattan et disparaît de la circulation. Il réapparaîtra quelques années plus tard dans le milieu du hip-hop pour prendre sa revanche sur l’industrie du disque. Planqué derrière un masque qui rappelle celui de Doctor Doom, personnage de Marvel Comics et principal ennemi des Quatre Fantastiques.

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