Critique

[Critique ciné] Touch Me Not, l’intimité en question

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

DRAME | Ours d’Or à Berlin, une interrogation troublante sur le corps et la sexualité, entre documentaire et fiction.

Le corps dans tous ses états. Corps contraint, corps handicapé, corps désirant, corps jouissant, corps exposé, corps malade, corps prostitué, corps supplicié, corps masqué, corps différent, corps étranger, corps vulnérable, corps prison, corps transgenre. Ce qui vient « avant les mots » est le matériau premier d’un Touch Me Not ayant conquis -d’assez surprenante façon- l’Ours d’Or au Festival de Berlin 2018. Adina Pintilie(1), jeune réalisatrice roumaine venue au cinéma par le documentaire, y ajoute à son approche des techniques propres à la fiction, créant une oeuvre hybride qui n’est pas sans rappeler, parfois, le cinéma de l’Autrichien Ulrich Seidl. Comme ce dernier, elle ne craint pas de déranger en filmant des personnes handicapées, ou des scènes sexuelles non simulées mêlant la violence, comme celles situées dans un club SM. Rien n’est laid dans l’humain, rien n’est repoussant dans une palette érotique aux mille variations librement consenties. Le message est aussi généreux que juste, même plus vraiment subversif aujourd’hui, et ne perturbera durablement que les tenants d’un conservatisme paniqué par la différence. Pintilie questionne notre rapport au corps, à notre propre corps, et à la sexualité, suivant quelques personnages en quête de sens et de sensualité, qui dialoguent entre eux et avec elle quand la réalisatrice se glisse elle-même dans le jeu.

[Critique ciné] Touch Me Not, l'intimité en question

Contradictions

« J’étais tellement sûre de tout savoir de l’intimité, de la confiance, du désir, de la sécurité. Au fil du temps, au contact de la vie réelle, de gens réels, mes vues si claires au départ ont été peu à peu déstabilisées. » Une voix féminine monologue, face au visage sur un écran moniteur d’Adina Pintilie. Laquelle se tait, écoute, clos les yeux puis les ouvre de nouveau tandis que la voix évoque l’amour, l’amour donné, l’amour reçu. Des mains démontent l’écran, emportant le visage de la réalisatrice et nous laissant face à une caméra muette. Touch Me Not est presque terminé quand naît ce moment réellement troublant. Ce qui le précède n’a malheureusement pas la même intensité palpable, le même affleurement de sens aussi prenant que fugace et profondément mélancolique. Un film pourrait commencer là. Mais c’est malheureusement trop tard. Pintilie referme son premier long métrage de fiction sur un instant de grâce, qu’elle a fait précéder d’une bien longue suite de séquences répétitives, paradoxalement dépourvue de cette sensualité qu’aurait pourtant pu (dû) appeler le sujet. Elle filme de manière froide et clinique, plaçant le plus souvent les personnages sous une lumière crue, glaciale. Tout en proposant pourtant le cinéma comme mode de thérapie, et en développant l’idée d’une libération des corps que sa mise en images contredit plus d’une fois.

D’Adina Pintilie. Avec Laura Benson, Tomas Lemarquis, Christian Bayerlein. 2h05. Sortie: 20/03. **(*)

(1) Sans aucun lien de parenté avec Lucian Pintilie, le grand cinéaste lui aussi roumain disparu l’année dernière, qui réalisa, entre autres, Le Chêne (1992).

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