Miraï, ma petite soeur: l’enfance de l’art

Un film où passé, présent et futur communiquent et se répondent dans de multiples ouvertures vers le fantastique. © DR
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Génie de l’animation nippone, Mamoru Hosoda, le réalisateur de La Traversée du temps et des Enfants loups, décline ses obsessions d’auteur sur un mode plus intime dans Miraï, simple chronique familiale aux non moins fulgurantes envolées fantastiques. Rencontre.

Au rayon cinéma d’animation, sur l’archipel nippon, il n’y a évidemment pas que le studio Ghibli cher au vénérable Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro) et au regretté Isao Takahata (Le Tombeau des lucioles, Le Conte de la princesse Kaguya). La tradition est vaste, longue, et ne cesse d’ailleurs d’essaimer. Il faut ainsi notamment désormais compter avec CoMix Wave Films (le génialissime Your Name de Makoto Shinkai en 2016) ou le tout jeune studio Chizu du quinqua Mamoru Hosoda. Ancien employé de la fameuse boîte de production Toei Animation, où il a notamment travaillé sur les séries Dragon Ball Z et Sailor Moon, puis réalisé les longs métrages Digimon et One Piece, ce dernier est approché par Miyazaki et Ghibli dès le début des années 2000 pour réaliser Le Château ambulant. Mais les choses capotent rapidement faute de réelle entente. Hosoda trouve alors refuge chez Madhouse, autre studio nippon où son génie créatif explose littéralement avec La Traversée du temps (2006) et Summer Wars (2009), deux petits chefs-d’oeuvre animés où la dimension fantastique et anticipative est avant tout prétexte à explorer les multiples possibles de l’existence.

Il y a huit ans, le cinéaste part définitivement voler de ses propres ailes en créant Chizu (« Carte », en japonais) à Tokyo, où Les Enfants loups, Ame et Yuki (2012) et Le Garçon et la Bête (2015) confirment et assoient son insolent talent. Aujourd’hui, il y signe avec Miraï un nouveau petit miracle de film. Soit l’histoire en apparence modeste de Kun, un garçon de quatre ans dont la félicité très ordinaire se voit violemment perturbée par l’arrivée à la maison d’une petite soeur, Miraï, qu’il se met à jalouser, se réfugiant alors au pied de l’arbre généalo-ma-gique familial qui le projette dans un univers fabuleux où s’entrecroisent passé et futur.

Qu’est-ce que qui vous a poussé à imaginer un film depuis le point de vue d’un enfant de quatre ans?

Lorsqu’on vieillit, on commence à envier la vision du monde que peuvent avoir les enfants parce que tout, alors, est prétexte à la fascination et à l’émerveillement. Il semble impossible en effet d’arriver tout à fait à préserver ça en tant qu’adulte. L’une des raisons qui m’ont poussé à réaliser ce film tient dans le fait qu’à tout le moins, on peut se souvenir de ce que c’est d’expérimenter la vie de cette façon. Plus prosaïquement, si je me réfère à mon quotidien, le simple fait de devenir parent, d’avoir un premier enfant, a profondément influé sur ma perception des choses et même sur mes valeurs. Et l’arrivée du deuxième n’a fait qu’accentuer ce changement, je dois dire. Mais mon aîné semblait complètement perturbé par l’arrivée de ce nouvel enfant. C’est comme s’il avait le sentiment qu’il avait perdu notre amour au profit de sa soeur. Étant moi-même fils unique, ça a été une découverte assez intéressante pour moi, et j’ai décidé d’explorer cette voie-là.

À hauteur d'un garçon de quatre ans.
À hauteur d’un garçon de quatre ans.© DR

Et qu’en est-il du portrait que vous faites des parents, qui bataillent dur au quotidien?

Je crois que les Européens perçoivent encore trop souvent le Japon comme une assez vieille école dans ses moeurs et ses idées, mais les choses sont en train d’évoluer. En particulier le modèle familial, qui est aujourd’hui en pleine mutation. La conception traditionnelle où le rôle du père et de la mère étaient fixés de manière stricte et immuable n’a plus vraiment lieu d’être. Mais le changement ne s’opère pas non plus sans difficulté. Parce qu’en remettant en cause le modèle établi, vous êtes forcément amenés à tâtonner un peu, et à vous demander constamment si vous allez dans la bonne direction. C’est ce qui rend, je pense, ce couple intéressant. Ils essaient de faire les choses un peu autrement, mais ce n’est pas forcément évident. J’ai essayé de leur donner une réelle consistance à l’écran. D’ailleurs, la structure invisible du film est assez éclatée, avec un épisode correspondant à chaque membre de la famille.

Miraï rend compte de manière très libre, mais aussi très fouillée, de certains mécanismes complexes de la psyché enfantine. Avez-vous eu recours à l’expertise de spécialistes?

Non. Je me suis essentiellement basé sur l’observation de mes propres enfants. Pourquoi pleurent-ils? Pourquoi sont-ils en colère? Pourquoi sont-ils jaloux? Il y a beaucoup à apprendre, en tant que parent, au contact des enfants. Notamment parce que ça vous reconnecte avec des choses enfouies que vous avez vous-même expérimentées par le passé. C’est une façon de revivre votre propre vie. Et je crois que c’est vrai pour chaque génération. J’ai donc également le sentiment d’avoir ainsi appris des choses sur mes parents. Et leurs parents avant eux. Et ainsi de suite. La famille est un objet d’étude fascinant et une source d’inspiration sans fin. J’ai par exemple été assez ébahi de constater à quel point, devenu moi-même parent, je me suis retrouvé à dire à mes enfants les mots mêmes contre lesquels je m’étais tant révolté à la maison quand j’étais jeune. Je crois beaucoup à l’idée d’une boucle de vie qui se répète à travers les âges. En ce sens, j’ai tendance à voir Miraï comme une histoire plutôt modeste, mais qui fait écho à quelque chose d’assez vertigineux. Si le film n’a rien de très spectaculaire, il est néanmoins habité par une grande ambition personnelle.

Le design de la maison, qui est le coeur battant du film, est très spécifique. Pouvez-vous expliquer en quoi ça fait sens en termes de dramaturgie?

Je voulais une maison citadine avec une cour et un jardin, et le moins de murs possible, un lieu décloisonné à la manière d’une scène de théâtre. J’ai donc fait appel à un vrai architecte, comme le personnage du père dans le film, pour la concevoir en prenant en compte des questions d’espace, de lumière, de volumes et de matériaux. Nous sommes tombés d’accord sur le concept d’une série de niveaux en cascade qui soient chacun exactement de la même taille que le jeune Kun. À savoir un mètre de haut. C’est l’idée d’une structure multi-couches qui fait prendre conscience au spectateur de ce que c’est d’appréhender un environnement d’adultes à hauteur d’enfant.

La séquence de la gare est sans doute la plus impressionnante et la plus importante du film. Comment l’avez-vous imaginée?

À l’origine, je suis parti de la vraie gare de Tokyo. Vous savez, les enfants ont tendance à se perdre ou, à tout le moins, à ne pas s’y retrouver dans les grandes gares. Tout devient alors menaçant. À commencer par les trains eux-mêmes, qui semblent avoir été créés pour vous éloigner des êtres que vous aimez. C’est un peu l’idée d’un cauchemar éveillé où tous vos repères se brouillent. D’une manière générale, j’aime développer un univers où la frontière entre le naturalisme et le fantastique n’est pas étanche. Notamment parce que je crois que les enfants ne font pas une distinction aussi tranchée que nous entre la réalité et la fiction.

Quelle est la spécificité de Chizu, votre studio, dans le paysage de l’animation nippone?

Nous ne faisons que des longs métrages animés dont le projet naît au sein même du studio. Nous n’exécutons pas de commandes. C’est pour ça que nous ne pouvons produire qu’un film tous les trois ans. C’est vraiment l’idée de se donner le maximum de latitude afin d’explorer à fond le potentiel expressif de l’animation. La viabilité du studio reste dès lors assez fragile, mais c’est pour moi la condition sine qua non afin de préserver, et même de renforcer, notre identité propre. Pourvu que ça dure… On touche du bois (sourire).

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