Le Villejuif Underground, sensation 2019: « Les emmerdes et les plans foireux nous adorent »

Le Villejuif Underground transi de froid et imbibé: "On ne court pas après les emmerdes et les plans foireux. Ce sont plutôt les emmerdes et les plans foireux qui nous adorent." © CAMILLE BOKHOBZA
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Poils à gratter, rejetons turbulents et beautiful branleurs de la scène rock française, Le Villejuif Underground et son chanteur australien font mouche et se piquent d’un deuxième album foutraque carrément irrésistible.

« On ne court pas après les emmerdes et les plans foireux. Ce sont plutôt les emmerdes et les plans foireux qui nous adorent. » Avec Le Villejuif Underground, rien ne se passe jamais vraiment comme prévu. Le soir de notre rencontre par exemple, après qu’on les a abandonnés passablement imbibés dans le froid en train de manger des fricadelles génétiquement modifiées au milieu de la nuit à la terrasse d’un snack gantois, Nathan Roche, le chanteur australien du groupe du Val-de-Marne, terminait la nuit au poste. « J’ai jeté une chaise pour rigoler et je suis parti. Mais deux minutes plus tard, Antonio (Beltran, le claviériste du Villejuif) m’a envoyé un message: « Nathan, tu dois te cacher. Le patron du snack veut te tuer. Il devient dingue. « C’était ridicule. Donc, je suis retourné là-bas. Le mec prétendait que j’avais cassé le carreau de sa caisse. Ils ont appelé les flics qui m’ont embarqué au commissariat. » Chaise musicale ou plutôt électrique, clap deuxième. Quelques jours plus tard, au Mans, un gilet jaune balance un siège dans la vitrine de l’endroit où ils doivent jouer. Concert annulé.

« Même quand je vivais en Australie, la politique ne m’intéressait pas vraiment, poursuit Nathan Roche. Je sais que c’est fondamental, que ça permet à la société d’avancer, de changer. La France a une vraie histoire. La Révolution, Mai 68… La protestation, la manifestation font partie de sa culture. C’est fantastique mais je n’ai pas ça dans le sang. Je ne descends pas dans la rue pour contester des choses. J’ai plutôt tendance à les accepter telles qu’elles sont. »

En attendant pour le clip de Can You Vote for Me?, le Villejuif a détourné un spot de campagne de Marine Le Pen. « Cette chanson n’a rien à voir avec la politique mais c’était au moment des élections et Antonio trouvait que j’avais la même coiffure qu’elle. On a donc tourné un remake. »

Auteur, poète, chanteur, musicien et on ne sait quoi d’autre encore, Nathan Roche est arrivé à Paris en 2014. Il s’y est installé presque par hasard. « J’étais en tournée et quelqu’un m’a proposé de garder son appartement du côté de Charles Michels, dans le XVe. Quand tu trouves un endroit pour dormir gratuit, tu sautes dessus. Bref, j’y suis resté pendant trois mois et puis j’ai trouvé un squat. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Un squat artistique… L’endroit s’appelle La Générale en Manufacture, une ancienne école de céramique peuplée par des artistes, des lunatiques et des réfugiés. Lorsque l’endroit ferme fin 2015, Roche va s’installer dans la cabane de jardin de ses acolytes à Villejuif, en banlieue parisienne. Les zigotos se seraient rencontrés dans un bar à chicha de Belleville, lors d’une nuit éthylique comme il y en a eu beaucoup d’autres. C’est via une amie en commun, Charlotte Kouklia, que les liens se tissent. Nathan joue avec elle pour se faire un peu de fric. Les deux Geto Tropic, Adam Karakos (bassiste et fils de Jean, producteur de no wave, de rap encore naissant aux USA et de La Lambada, à l’origine du festival d’Amougies) et Thomas Schlaefflin (guitariste), ont enregistré avec elle un disque de pop féminine à Bruxelles pour son projet Charlene Darling… L’immense kangourou embauche les deux lascars pour choper une première partie de Ben Wallers, le leader des Country Teasers. Le Villejuif Underground est né. Rapidement complété par Antonio Beltran. « Il était bourré dans le jardin la première fois que je l’ai vu. Je ne savais pas qu’il jouait d’un instrument, retrace Nathan. À l’époque, je ne connaissais personne dans la pop. Personne qui joue d’un instrument. Je n’avais pas le moindre ami à Paris. J’allais juste à des concerts expérimentaux. Je fréquentais le Non_Jazz. J’étais dans les trucs bruitistes… »

Mise à mort

Tailler le bout de gras avec tout Le Villejuif Underground autour d’une table et de quelques bouteilles n’est pas une mince affaire. Attaques en dessous de la ceinture, jeux de mots foireux, secrets honteux… L’un parle de la gale et évoque la possibilité de profiter du traitement pour se raser les testicules. L’autre raconte s’être déjà pissé dessus pour apaiser une piqûre de méduse. Ils causent tous en même temps et n’ont pas l’air de pouvoir s’en empêcher.

Ça va de l’Eurovision (« on se ferait un plaisir de représenter Andorre« ) au speed de Tournai (« je m’en suis servi pour coller mes autocollants Panini »). C’est ça Le Villejuif. Ça rigole. Ça gueule. Et ça raconte un tas de conneries. « Antonio a tout juste 27 ans, balancent Adam et Thomas. Du coup, on s’est arrangés avec la responsable de com chez Born Bad pour le supprimer cette année. Faut d’ailleurs que tu choisisses ta mort dans le catalogue Euthanasia. »

Et la musique du Villejuif dans tout ça? Un beau bordel. À leur image. Une grande orgie à laquelle auraient été conviés Beck, 7 Beat Happening, Pavement, Fat White Family et un tas d’autres trucs. Thomas parle avec passion de pop thaïlandaise, montre des vidéos de Polnareff. « On est de la génération Mediafire, Megaupload. En vrai, sur les 50 dernières années, je crois que nous sommes ceux qui avons eu la meilleure fenêtre pour avoir un accès ultra vénère à plein de musique. À l’heure qu’il est, tu n’as plus tous ces sites de téléchargement. Ces mecs qui répertorient toute la merde. Et sur iTunes, tu n’as pas du tout tout ce qui a été diggé. Je ne sais pas aujourd’hui où sont tous ces enregistrements. Mais ils n’étaient pas là avant nous. Et ils ne sont plus vraiment là déjà non plus. »

Tailler un bout de gras avec le groupe est un beau bordel. Ça rigole. Ça gueule. Et ça raconte un tas de conneries.
Tailler un bout de gras avec le groupe est un beau bordel. Ça rigole. Ça gueule. Et ça raconte un tas de conneries.© CAMILLE BOKHOBZA

Nathan, lui, évoque la tripotée de groupes qu’il a eus en Australie. Marf Loth, Camperdown and Out, Nathan Roche and the Wentworth Avenue Breeze-Out, Redneck Discotheque, Home Run ou encore Disgusting People…  » Avec tous ces projets, j’ai sorti des disques, des vinyles, des CD, des cassettes… En Australie, on lance de nouveaux groupes toutes les semaines et on sort des trucs que cinq personnes vont entendre. Quand tu aimes bien quelqu’un, tu fais de la musique avec lui. Tu crées un groupe et une semaine plus tard, tu enregistres un album. Ça a toujours fonctionné comme ça. C’est ainsi que Al Montfort de UV Race se retrouve dans Straightjacket Nation, Total Control, Dick Diver, Lower Plenty… Les gens font de la musique et ils ne savent pas où ça va les amener. Pour les Australiens, rien n’est vraiment important. Tout le monde a 20 bands. Tu fabriques ton disque en deux jours. Ce n’est pas très spécial, c’est comme aller à l’épicerie. »

Le gaillard est incollable sur la scène rock de son pays mais, s’il s’en a le phrasé, s’intéresse très peu au hip-hop. « Les autres écoutent du rap mais moi pas vraiment. J’aime bien Kendrick Lamar. Mais plutôt à cause de ses idées. Il a parlé d’autre chose que de fric, de pouvoir et de gonzesses. Par contre, mon flow, c’est juste la manière que j’ai trouvée de poser ma voix sur la musique et les rythmes du Villejuif. »

Excuses à John Cale

Sous ses airs de slacker, Roche est un stakhanoviste impatient. Il a des side-projects (CIA Débutante, Laverie Nuns), écrit des bouquins et a d’ailleurs laissé à ses comparses le soin de gérer la musique de When Will the Flies in Deauville Drop? « À un moment, j’étais passionné par la musique de mecs qui portent des pantalons en cuir, explique Thomas. Tu vois INXS? On a essayé mais finalement on n’est pas du tout partis là-dessus. » Le son est bancal. Bricolé. Le Villejuif a toujours fonctionné en circuit fermé. « Il y a juste J.B. de Born Bad qui a composé la moitié des morceaux (éclats de rire). Tu connais J.B.? C’est un peu le Mozart français. À la base, il a une formation de tuba. Il avait une fanfare. »

Le Villejuif a le sens de l’humour. Roche l’aime noir et a un faible pour la satire. « J’ai grandi en regardant ce mec en Australie: Shaun Micallef. Il avait une émission télé. Je trouvais ça vraiment drôle. Nicolas Gogol aussi, l’auteur russe. Les Âmes mortes notamment. C’est hilarant. Ce qui me fait poiler met sans doute plein de gens mal à l’aise. C’est arrivé de près chez vous? J’ai adoré. C’est un super exemple. »

La chanson Le Villejuif Underground, extrait du 4-titres Heavy Black Matter (2016), racontait les déboires de Nathan pour obtenir un visa en France (lecture d’une lettre de refus à l’appui)… L’Australien a depuis déménagé du côté de Marseille. Il s’est marié aussi. Le deuxième album du Villejuif, When Will the Flies in Deauville Drop? compile un tas de petites histoires…

On pensait que le John Forbes du titre d’ouverture de l’album était le mathématicien et économiste américain mort à 86 ans dans un accident de taxi. « Ah non, c’est un poète australien qui a habité à Townsville d’où je suis originaire. Personne ne connaît son histoire. J’ai donc imaginé sa vie là-bas. Parce que c’est une ville un peu dure. Une ville de militaires. J’y ai grandi. Mais mon père n’est pas dans l’armée, il est géologue. Roche, géologue, c’est la grande blague de ma famille. Avec quinze hommes pour une fille, Townsville est légèrement trop masculin… Un peu comme Le Villejuif Underground. »

Sorry JC est à la fois une histoire vraie et une chanson d’excuse adressée à John Cale, que Nathan est parti voir en concert à Brisbane quand il avait 17 ans… « Je suis monté dans un bus Greyhound. J’ai beaucoup bu et fumé de hasch avec mes amis. On étais des grands fans à l’époque. J’adorais ses albums solo. Helen of Troy, Paris 1919… J’ai toujours préféré John Cale à Lou Reed. On était super excités. C’était génial. Mais avant une chanson, il s’est mis à raconter l’histoire d’un de ses amis parti nager dans l’Hudson River et qui n’en est jamais revenu. Je me suis mis à rire alors que c’était super calme dans la salle. Lui et son groupe m’ont fusillé du regard. J’ai eu pas mal de moments de solitude dans ma vie, mais c’est l’un des plus grands. »

Haunted Château est une métaphore de la vie en France pour le gigotant rockeur des antipodes… « Il y a un an et demi, on n’arrêtait pas de tourner. J’étais un peu perdu, déconnecté. Je ne comprenais pas ce que les gens me disaient et ce qu’ils me voulaient. Les mecs du Villejuif parlent toujours comme ça. Sans arrêt. En tout cas depuis que je les connais. » « Il comprend pas toujours quand on fait des blagues. » « Donc, quand des potes me demandaient ce que c’était la vie en France, je leur disais: c’est chouette, c’est beau. Beau comme un château. Mais un château hanté et reculé. » Le Villejuif est définitivement loin dans la forêt…

Le 06/03 au KulturA (Liège) et le 07/03 au Brass (Bruxelles).

Le Villejuif Underground « When Will the Flies in Deauville Drop? »

Distribué par Born Bad. ****(*)

Le Villejuif Underground, sensation 2019:

« Il y a deux manières d’enculer les mouches. Avec ou sans leur consentement« , écrivait Boris Vian. Le Villejuif Underground (qui n’habite plus Villejuif et devrait aussi, tôt ou tard, quitter l’underground) a mis longtemps à terminer son deuxième album et n’a pas joué la carte du compromis. John Forbes commence avec un choeur à la Beach Boys pour faire place à une guitare dégingandée et au flow nonchalant de Nathan Roche. Sorry JC s’excuse sous Lexomil. Post Master Failure sent le petit remontant sous le manteau et Wuhan Girl sonne comme un slow défoncé qui aurait mal tourné… Entre foutage de gueule du routard (Backpackers) et écho aux attentats de Paris (Bataclan), Le Villejuif enquille onze tubes de poche sur un irrésistible disque de rock claudiquant, lo-fi et pourtant très pop. Country urbaine, punk des plages, garage de B-BOY… The Fall rencontre Mac DeMarco. La Fat White Family fait des folies avec le Beck d’antan. Le disque de rock français le plus excitant depuis des années avec la rencontre de Cheveu et de Group Doueh…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content