Folie meurtrière

Un serial killer cannibale et contagieux a pour ambition d’annihiler l’Amérique. Un roman horrifique, à la prose aussi dingue que son protagoniste.

 » Entre l’heure où la lumière revient à nous et le reste de notre point actuel dans cette Dévoration, tout le monde doit mourir en Amérique, doit être tué sans retard et de nos mains. » Ainsi s’exprime Gretch Gravey, dans ce qui semble être des comptes-rendus d’auditions, eux-mêmes annotés et commentés pour l’essentiel par l’agent Flood. À moins que celui qui s’exprime ainsi ne soit en fait Darrel, l’entité mystique qui, en gros, prend possession de Gravey quand celui-ci bouffe des innocents – » Le silence dans lequel je ne rentrais plus s’est poursuivi dans le cerveau de deux garçons à qui j’avais demandé de déposer leurs poumons sur des assiettes pour que je les enduise de gel et m’en serve de bâillon« . Gravey étant lui-même, si on arrive à le suivre, l’enveloppe physique dans laquelle maint autres corps et personnalités ont été avalés – » J’ai laissé la forme dotée de mon visage enfoncer sa langue dans ma tête. Je me suis servi de mes mains bénies de lumière pour attirer l’autre crâne aussi près du mien qu’il était tenable, langue contre dents, et j’ai mangé. » Quant à l’agent Flood, il semble lui-même sombrer dans la folie: comme d’autres de ses collègues qui ont mis fin à leurs jours après avoir tué toute leur famille, Flood a visionné les centaines de cassettes vidéo à la bande systématiquement blanche, retrouvées dans la « Maison Noire » de Gravey. Un visionnage qui le fait délirer et s’enfoncer dans les tréfonds de cette maison de l’horreur, aux murs entièrement recouverts de miroirs et aux sols jonchés de cadavres -de quoi ériger « La Terre du Néant »,  » une sorte de palais de corps par lequel il sera possible d’accéder à l’esprit et l’histoire de sa conception de Dieu« . Et si vous n’avez rien compris, retenez au moins deux sentences de Gravey:  » Je pourrais vous tuer n’importe quand, je pourrais devenir vous et vous ne sentiriez même pas le changement » et surtout -parce qu’il s’agit bien de ça-:  » C’est un mal américain. » Un mal qui s’étend. Jusqu’à atteindre les 300 millions?

Folie meurtrière

Entre Wallace, Bolano et Clive Barker

La littérature expérimentale américaine n’a pas de tabou, et encore moins de genre. Ainsi, en plongeant en apnée dans le livre de Blake Butler (dont c’est le premier livre en français), si on pense d’emblée à la folie furieuse d’un David Foster Wallace, qui avait tenté de résumer l’ennui ou la société du spectacle dans deux livres-mondes (respectivement Le Roi pâle et L’Infinie Comédie) aussi remarquables que parfois illisibles, ou au 2666 du Chilien Roberto Bolaño, autre somme culte d’ailleurs explicitement citée par l’auteur de ce 300 millions, d’autres références, typiques cette fois de la fiction d’horreur, se font également jour au fur et à mesure que les pages, venimeuses, torturées et franchement malaisantes, se tournent. On pense alors à King, à Dantec, à Lovecraft, à Escher, à Clive Barker (c’est brillant, certes, mais on souffre)… À tous ces auteurs ou artistes qui vous ont, un jour, empêché d’éteindre la lumière ou d’aller à la cave. Blake Butler est de ceux-là.

300 millions

de Blake Butler, Éditions Inculte, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé, 550 pages.

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