Jeux et enjeux

© Out of Hand, 1981, Super- 8mm (transféré sur fichier numérique), couleur, sonore, 24 minutes Courtesy Ericka Beckman

Avec The Super-8 Trilogy, Kanal donne à voir les premiers pas de l’oeuvre filmée d’Ericka Beckman. proche du rêve, elle préfigure l’esthétique du vidéo-clip.

Des roulements de tambour s’enchaînent au troisième niveau du showroom de Kanal. Ils font place au son clair d’une scansion évoquant la régularité du métronome. Parfois, ce sont des sonorités timides de petits cloches qui chatouillent l’oreille. Il y a aussi cet accord nu de guitare qui hésite avant de se lancer pour de bon et d’être rejoint par des chants. L’oeil quant à lui est aux prises avec trois écrans géants crevant l’obscurité. Ce que l’on voit semble relever du rêve ou du jeu, ou plutôt du rêve ET du jeu. Une jeune fille -Ericka Beckman herself, qui est alors âgée de 27 ans- imite les pas effectués par deux jambes suspendues à des ficelles, une sorte de « robot », disent les curateurs Philippe-Alain Michaud et Jonathan Pouthier, à qui l’on doit cette perle curatoriale jamais exhibée de cette façon. Un personnage en blanc fait mine de conduire une voiture, illusion que renforce un arrière-plan défilant à toute vitesse. Plus loin, on reconnaît Mike Kelley, feu le célèbre plasticien de la côte Ouest, appliqué à pendre du linge au son de doux chants d’oiseaux. Le tout se découvre sous la forme d’une installation parsemée d’éléments de décor et rythmée par un jeu de lumières colorées. Il est tout à la fois question de musique expérimentale, de scénographie, de détournement de la culture populaire et d’images en mouvement dans la proposition. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle percute le spectateur avec une grande force. Elle le retourne. Cet univers répétitif traversé de géométries est à l’image d’une artiste qui a tracé un sillon filmique extrêmement personnel. Ce sont ici les débuts de Beckman (1951) que nous montre Kanal à la faveur d’une trilogie tournée initialement en Super 8 et désormais digitalisée. À l’époque, la fin des années 70, elle sort tout juste du California Institute of the Arts -où elle a été marquée entre autres par le travail du percussionniste John Bergamo, cela saute aux tympans- et est frontalement confrontée à la question de la construction d’une identité.

Construire-déconstruire

La réponse qu’apporte la réalisatrice est plurielle et complexe. Elle peut être inférée du triptyque qui est composé de la sorte: We Imitate; We Break Up (1978, 26 minutes); The Broken Rule (1979, 20 minutes); ainsi que Out of Hand (1981, 24 minutes). L’oeuvre occupe un statut particulier, trop divertissant pour un public habitué au cinéma expérimental, trop pointu pour des spectateurs nourris au baxter de la narration et des effets spéciaux. Pour construire, l’intéressée déconstruit. S’appuyant sur les travaux du psychologue Jean Piaget, Beckman s’applique à pointer comment, dès le plus jeune âge, notre connaissance du monde est formatée. Aux trois courts métrages correspondent trois étapes de l’apprentissage. Il y a d’abord l’imitation; ensuite le jeu, creuset de la règle et de la contrainte; sans oublier, la mémoire, lieu où l’expérience laisse une trace en nous. Aucune lourdeur, aucune pédagogie documentaire. Le trio présenté par l’Américaine est un pur condensé de rythme qui dévisse l’investissement psychologique induit par les images de divertissement tout autant qu’il évoque le cinéma de Georges Méliès ou les performances de Meredith Monk… Et surtout préfigure le vidéo-clip tel qu’il fleurira sur MTV dans les années 80. On ne saurait trop conseiller de ne pas en perdre une miette, au risque d’en sortir complètement abasourdi.

The Super-8 Trilogy

Ericka Beckman, Kanal-Centre Pompidou, quai des Péniches, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 19/05.

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www.kanal.brussels

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