Marta Bergman: « Pour moi, il n’y a pas de frontière étanche entre docu et fiction »

Pour sa première fiction, Marta Bergman a cherché à se détacher "de l'hyperréalisme pour tendre aussi vers le romanesque". © Sylvain Lefevre/Getty Images
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec Seule à mon mariage, la documentariste belge d’origine roumaine signe son premier long métrage de fiction. Présentations.

Documentariste belge née à Bucarest et diplômée de l’INSAS, Marta Bergman saute le pas de la fiction avec Seule à mon mariage. Soit, de la campagne roumaine à la nuit belge, une trajectoire de femme entre espoirs et galères: celle de Pamela, jeune Rom drôle et spontanée décidant de rompre avec les traditions qui l’étouffent dans son pays pour tenter, armée de trois mots de français, l’aventure d’une union arrangée sur le Net. À la veille d’un Cannes 2018 où son film allait connaître les honneurs de la passionnante petite section de l’ACID, la cinéaste nous confiait: « J’ai réalisé plusieurs documentaires en Roumanie (des films comme Bucarest, visages anonymes ou Clejani, par exemple, mais surtout Un Jour mon prince viendra, qui dressait le portrait de trois femmes roumaines en quête d’amour, souhaitant quitter leur pays par le truchement d’agences matrimoniales, NDLR). Seule à mon mariage n’est au fond rien d’autre que le prolongement de ces oeuvres-là, c’est-à-dire que le personnage de Pamela a peu à peu émergé parmi ces femmes que j’ai précédemment filmées et ces histoires qu’on m’a racontées. Il était très important pour moi que cette première fiction soit nourrie par une approche documentaire. D’ailleurs, je ne fais pas forcément de grosse différence entre docu et fiction. Disons en tout cas que, pour moi, il n’y a pas de frontière étanche entre les deux. Dans mes documentaires, j’essaie déjà de réfléchir en termes de personnages, de découpage et d’histoire. Et ici, il me tenait à coeur de consacrer beaucoup de temps à la préparation, aux rapports avec les gens, de fonctionner avec une petite équipe, une caméra portée. Il s’agit vraiment d’un continuum. »

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En résulte un film en deux temps, largement plus fort, certes, dans son volet roumain que dans le choc des cultures, assez inégal et dispersé, sur lequel il déboule ensuite en Belgique, où Pamela débarque en laissant momentanément derrière elle sa petite fille. « Beaucoup d’hommes et de femmes font le choix de laisser leurs enfants dans la famille proche pour venir ici. C’est un phénomène très courant là-bas. Je crois que Pamela cherche surtout à échapper à une vie étroite. C’est une fille qui rêve, comme beaucoup de filles. Quand j’étais occupée à faire des repérages dans un village roumain, j’ai interviewé énormément de jeunes femmes pour savoir quelles étaient leurs aspirations, et toutes ont répondu: partir, étudier, trouver un homme ailleurs. Le point de départ du film est tout à fait en phase avec cette réalité. Encore une fois je n’invente rien. Mais, de là, je décide de me détacher de l’hyperréalisme pour tendre aussi vers le romanesque. »

Portrait de femme

Marta Bergman, en effet, n’avait pas envie d’un film « politique », ou engagé, même si une certaine réalité sociale sert évidemment d’ancrage à Seule à mon mariage. « J’ai vraiment choisi de faire le portrait d’une héroïne« , insiste encore cette grande admiratrice de John Cassavetes, Kelly Reichardt et Andrea Arnold. « J’ai beaucoup pensé à l’énergie de la jeune fille de Fish Tank en préparant le film. C’est vers ça, oui, que, modestement, j’avais envie de tendre. »

Pour ce faire, elle s’est adjoint la plume de Laurent Brandenbourger, le co-scénariste des Barons et de Dode Hoek avec Nabil Ben Yadir, mais a aussi fait appel à l’expertise de la réalisatrice Katell Quillévéré, dont elle avait beaucoup aimé le film Suzanne, en qualité de consultante. « Sur le plateau, je reste très fidèle au scénario, mais je laisse toujours la possibilité d’un apport du comédien. Les acteurs ont beaucoup contribué au film, que ce soit au moment de la préparation ou du tournage en tant que tel. Il n’y a pas vraiment d’impro à proprement parler mais de l’ouverture et de la recherche constante, même si on ne disposait pas non plus d’énormément de temps et d’argent pour essayer des choses. »

Bergman a longtemps cherché l’interprète à même de porter le film sur ses épaules. Dans la peau de Pamela, l’étonnante Alina Serban, 31 ans, embarque littéralement le spectateur avec elle, composant à l’arrivée un portrait de femme vibrant d’une vérité là encore quasi documentaire. « Alina est une militante rom très active. La grande difficulté résidait dans le fait de tourner avec une enfant en très bas âge. En un sens, on était complètement à la merci de celle-ci. J’ai donc beaucoup insisté pour qu’Alina noue un vrai rapport avec elle en amont du tournage. Elles sont en fait issues de la même famille, mais ne se connaissaient pas vraiment. Elles ont passé énormément de temps ensemble afin de s’apprivoiser. Le volet roumain du film est très important parce qu’on y comprend à quel point Pamela n’endosse pas le rôle qu’on attend d’elle et est isolée par sa différence. Seule à mon mariage, c’est l’histoire d’une femme qui pense que sa quête d’indépendance doit forcément passer par sa rencontre avec un homme, mais qui bientôt découvre qu’elle peut très bien s’émanciper par elle-même. »

Seule à mon mariage. De Marta Bergman. Avec Alina Serban, Tom Vermeir, Marian Samu. 2h01. Sortie: 06/02. ***

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