True Detective, saison 3: retour en enfer

Mahershala Ali plonge dans la mémoire de son personnage de flic. © HBO
Nicolas Bogaerts Journaliste

Reprenant la structure qui a fait le succès de sa première saison, la nouvelle mouture de True Detective rajoute une corde à son arc: celle de l’émotion, qu’elle pince avec une infinie lenteur.

L’alchimie singulière de la première saison de True Detective plongeait une enquête policière menée par Matthew McConaughey et Woody Harrelson dans une Amérique gothique, en proie à ses grands démons et ses morbides trivialités. Après avoir essuyé les plâtres d’une deuxième saison qui ne méritait sans doute pas autant de boulets rouges, son créateur Nic Pizzolatto est revenu aux fondamentaux qui ont érigé la première saison en modèle: un polar social qui fait voler en éclats les unités de temps et de lieu.

Back to basics

Oscarisé pour Moonlight, Mahershala Ali prend la place de Matthew McConaughey et la peau de l’inspecteur Wayne Hays dans un même récit déstructuré en trois temps: un flic émotionnellement et socialement désaxé enquête sur une disparition d’enfants en milieu rural. Sur ce substrat basique, True Detective greffe tout un tissu, unique à chaque saison, d’atmosphères, de personnages, de dialogues d’orfèvre et de visions qui se glissent dans les failles psychiques et l’entrelacs chronologique, altérant la mémoire et les regards. Dans cette nouvelle saison, les trois temporalités dialoguent sur une période de près de 40 ans: en 1980, quand Hays enquête avec son partenaire Roland West (Stephen Dorff) sur la disparition macabre de deux enfants, issus d’un mariage dissolu. Puis en 1990, lorsque, fringant officier, il répond aux questions de deux inspecteurs chargés de rouvrir le dossier à la lueur de nouvelles révélations -un processus similaire à la première saison. Mais le troisième volet temporel intrigue: il se situe en 2015 lorsque, au bord de la sénilité, Hays est interrogé par une journaliste télé revisitant la troublante affaire, pour en dénicher les biais racistes et les rapports de domination. Comme Rustin Cohle (McConaughey) Hays est un être dissocié, émotionnellement éprouvé, une identité fractionnée qui doit résoudre une double équation: l’enquête et sa propre quête de salut.

True Detective, saison 3: retour en enfer

« Je me souviens »

Éclaireur durant la guerre du Viêt Nam, Hays a une mémoire fragile mais un sixième sens visuel. Dans la première saison, la mémoire de « Rust » Cohle se nourrissait de nombreux croquis et dessins. Leur approche à tous deux est perçue comme ésotérique par leur coéquipiers: comme Marty Hart (Woody Harrelson), Roland West (Stephen Dorff) est un contrepoint plus terrien, cartésien. Mais alors que Harrelson était une cocotte minute prête à exploser, Dorff joue l’effacé et l’intrigue semble tourner plus explicitement autour du seul Hays. Pour dessiner ces personnages pris dans des temporalités différées, Pizzolatto s’est tourné vers David Milch, le créateur de Deadwood (dont la suite prévue cette année au format téléfilm, transportera elle aussi ses protagonistes douze ans plus loin). Ce rapport au temps, à la mémoire et à ses failles géologiques et émotionnelles s’incarne dans les transformations physiques successives de Mahershala Ali, plutôt réussies, qui trahissent ses différents états d’esprit au fil des ans. Elles laissent filtrer une fragilité émotionnelle qui fait écho à celle du père des deux enfants disparus, Tom, joué par un Scoot McNairy bouleversant de fébrilité et de douleur.

True Detective, saison 3: retour en enfer

L’occupation du monde

Depuis le début, la partition de True Detective se joue dans une relation étroite avec l’environnement: la bayou de Louisiane et son humidité dévorante, les champs d’agrumes et les usines sans âge de la Californie périurbaine. Ici ce sont les Monts Ozarks, large chaîne de basses montagnes et de plateaux érodés, riche en replis, crevasses et reliefs trompeurs qui glisseraient facilement sous un regard trop distrait. C’est aussi une nature (humaine, forestière, animale) maltraitée par un urbanisme de banlieues déconfites, où des jeunes saccagent des plaines de jeu, un indien ferrailleur glane les détritus métalliques et des flics trompent l’ennui en tirant sur des renards, sirotant des bière, prenant de larges bouffées de cigarettes. Sans grand plaisir. Le récit rythmé par l’indolence, la lenteur, les non dits et les nombreuses pistes éclairées par les biais cognitifs et les blessures intimes, s’étire donc sur la moitié d’une vie, marquée bien sûr par l’affaire mais aussi par le deuil impossible, les histoires de couples. Celui des parents en deuil, comme celui que Hays forme dans les années 90 avec l’institutrice des enfants, rencontrée dix ans plus tôt. L’histoire est marquée par la désagrégation sociale et économique des années 80 ainsi que la ségrégation raciale et ses conséquences. « Si c’est dans le journal, c’est qu’il ne peut s’agir que d’enfants blancs », dit, clairvoyant, un suspect afro américain à un Hays abasourdi, venu l’appréhender dans un quartier d’une pauvreté endémique.

Anthologie

Dans les cinq premiers épisodes visionnés, la nouvelle saison calque l’essentiel de la première, mais se charge d’une émotivité nouvelle, humble et viscérale. Pizzolatto a-t-il voulu se racheter une conduite après une deuxième saison boursoufflée? La proximité avec la sortie l’an dernier d’une série HBO opérant sur des mécanismes similaires, Sharp Objects (adaptation réussie du roman de Gillian Flynn avec Amy Adams, Patricia Clarkson et Elizabeth Perkins) amène à penser qu’il a peut être voulu rappeler qui est le patron, alors que les séries anthologiques, recréant saison après saison une mystique du polar, sont devenues une tendance télévisuelle lourde, de Fargo à American Crime Story en passant, dans une moindre mesure chez nous, par La Trève. Comme cette dernière, de nombreuses séries ont surfé sur le grand courant narratif dont Pizzolatto a sacralisé l’étrangeté, le mystère, l’ésotérisme, mais qui, au final, ne constituent que l’écume de True Detective. L’essentiel se trouve alors dans les profondeurs.

True Detective (saison 3). Série créée par Nic Pizzolatto. Avec Mahershala Ali, Stephen Dorff, Carmen Ejogo, Ray Fisher, Mamie Gummer, Scoot McNairy. Sur Be TV. ****

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