Tout va bien sauf ce qui ne va pas

Peut-être l’avez-vous croisé un jour? On vous souhaite en tout cas d’avoir été effleuré par l’infinie douceur de ses yeux clairs. Ou d’avoir prêté attention à son filet de voix ténu, écho époumoné d’une maladie qui l’avait abîmé comme tant d’autres. Le quartier des Marolles avait un roi doublé d’un prophète: Jean-Pierre Rostenne (1942-2017). Brocanteur, puis libraire après avoir roulé sa bosse aux quatre coins du monde, l’homme battait le pavé bruxellois. On le reconnaissait à ses cannes et costumes flamboyants, composés de mille et un objets récupérés sur le Vieux Marché -ce goût pour l’accumulation, il le devait sans doute à Ekeko, le dieu andin de l’abondance croisé lorsque l’intéressé vivait au Brésil. Cannes, dites-vous? On préfère penser qu’il s’agissait de sceptres. Rostenne était ce qu’un artiste doit être: quelqu’un qui redessine le monde sans compromis, le réinvente dans sa totalité en y mettant toute sa vie. Lui rassemblait ce que le consumérisme éparpille sans états d’âme. « Perché », pensez-vous? D’accord, ce clochard céleste l’était mais alors de la manière dont le pointait Pascal: « Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n’être pas fou. » S’il était « timbré », c’était en ce sens où il pointait la frontière que la société se plaît à imaginer, voire bâtir, entre raison et déraison. On se réjouit que cette figure du quartier ait les hommages d’une salle au sein de l’exposition Les femmes dans l’Art Brut? que programme en ce moment le musée Art et Marges. On peut y découvrir ses agglomérats sous diverses formes -collages, tableaux et bien sûr cannes débordantes- ainsi qu’un bel ouvrage qui évoque poétiquement une oeuvre et une existence dans les marges. Ne surtout pas passer à côté des nombreux témoignages sonores proposés à l’écoute. Ils constituent le plus bel hommage possible de proches- des voisins, amis et collectionneurs…- à celui qui fut le « dernier surréaliste belge en vie »… Avant que la maladie ne l’emporte. C’était il y a deux ans.

Jean-Pierre Rostenne, musée Art et marges, 314 rue Haute, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 10/02.

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www.artetmarges.be

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