Douleurs (mé)tissées

© PORTA D'HIVERN (PORTE D'HIVER) 2003 JOSEP GRAU-GARRIGA, GALERIE NATHALIE OBADIA

La galerie Nathalie Obadia rend hommage au travail de Josep Grau-Garriga, artiste espagnol venu de la peinture et qui a révolutionné l’art de la tapisserie.

Est-ce un hasard s’il est souvent fait mention du « tissu social »? Tout porte à penser que non. Pour preuve, c’est dans les années 70 que l’art textile, en particulier celui de la tapisserie, a connu son heure de gloire. Cette décennie a été marquée par une agitation politique et sociale conséquente, ainsi que par la prise de conscience de la gravité des problèmes écologiques. Près de 50 ans plus tard, à l’heure où les liens entre les strates qui composent la société semblent se détricoter, faut-il s’étonner du retour en force de cette pratique? Si l’on est en droit d’émettre des réserves sur cette théorie, on ne peut en revanche que se réjouir de la (re)découverte du travail de tous ceux qui ont contribué aux avancées du genre: Sheila Hicks bien entendu, mais également Jean Lurçat ou encore Josep Grau-Garriga (1929 – 2011). Formé initialement à la peinture, ce dernier est devenu au fil du temps le grand nom de la tapisserie espagnole. D’où vient-il? La galerie Obadia nous rappelle ses axes.  » Grau-Garriga est influencé à la fois par l’art roman catalan et par l’art des muralistes mexicains de l’entre-deux-guerres, de David Alfaro Siqueiros à Diego Rivera« . Nobles racines. C’est la tapisserie qu’il choisit pour opérer ses synthèses et ce, dès la fin des années 50. Pionnier d’un nouveau regard porté sur l’entrelacs des fils, Grau- Garriga va s’appliquer à en casser les codes pour mieux en réinventer les contours. C’est flagrant dans les seventies, période-charnière durant laquelle il abandonne la technique du carton de tapisserie pour s’emparer lui-même du métier à tisser. L’homme se fait à la fois concepteur et manufacturier, une hybridation qui va totalement débrider son imagination.

Arte povera

Décliné sur trois niveaux, l’accrochage de la galerie Obadia a des allures de rétrospective. Celle-ci a le bon goût de panacher « tapisseries » -mot qui échoue totalement à dire le caractère de sculptures, voire d’installations textiles des oeuvres présentées- et oeuvres à la gouache ou à l’encre de Chine. Les unes répondent si bien aux autres que le regard ricoche à travers l’espace. Très vite, le caractère expérimental de l’artiste saute aux yeux, notamment en ce qu’il s’est appliqué à l’intégration de matériaux bruts de basse extrace -ficelle, jute, chanvre, chutes de tissu, vieux sacs ou vêtements, raphia… On songe à des mandalas mais d’un genre qui donnerait à voir la blessure, la souffrance, la noirceur de ce monde. Il y a le très spectral Rêve de marin (1985) qui panache laine, coton et fibres synthétiques. Face à cette composition de 2 mètres sur 3, c’est la figure de Goya qui surgit. Le Goya des peintures noires, celui qui affirmait:  » Dans la nature, la couleur n’existe pas plus que la ligne: il n’y a que le soleil et les ombres. Donnez-moi un morceau de charbon et je vous ferai un tableau: toute la peinture est dans les sacrifices et les partis pris! » D’autres agencements racontent quant à eux le sang versé, l’écoulement des flux, la boursouflure douloureuse. Quel événement a bien pu s’immiscer de la sorte dans l’imaginaire plastique de l’intéressé? On s’en doutait mais ce sont les « peintures » -là aussi le terme est pauvre- qui livrent la clé de l’énigme. Soit des unes du journal L’Humanité relatant la fin du régime franquiste, supports à d’intenses déflagrations chromatiques.

Josep Grau-Garriga

Galerie Nathalie Obadia, 8 rue Charles Decoster, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 16/02.

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www.nathalieobadia.com

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