Critique

[Le film de la semaine] The Favourite, de Yorgos Lanthimos: jeu de massacre

© Yorgos Lanthimos
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

DRAME HISTORIQUE | Yorgos Lanthimos s’invite à la cour de la reine Anne d’Angleterre pour signer un film acerbe et acéré autour de la rivalité entre deux courtisanes. Brillant.

Sorti il y a un peu plus d’un an à peine, The Killing of a Sacred Deer, le précédent opus de Yorgos Lanthimos (lire son portrait en page 4), laissait craindre un relatif essoufflement dans le chef du cinéaste grec, qui semblait y ériger en système les figures qui avaient fait sa singularité, de Canine à The Lobster. À cet égard, et tout en restant du pur Lanthimos, The Favourite traduit une évolution sensible de son cinéma, ne serait-ce qu’en raison du fait que, délaissant le théâtre contemporain, le réalisateur s’y frotte au drame historique en costume, revisité à sa grinçante manière s’entend.

L’action se situe au début du XVIIIe siècle, à la cour de la reine Anne d’Angleterre (Olivia Colman), souveraine lunatique à la santé fragile vivant en compagnie de ses 17 lapins (un par enfant qu’elle a perdu), et laissant pour l’essentiel la conduite des affaires, et notamment de la guerre avec la France, à sa conseillère et amante, Lady Sarah (Rachel Weisz). Moment où débarque, guère à son avantage, Abigail Masham (Emma Stone), cousine de la précédente et aristocrate déclassée. Laquelle, enrôlée comme domestique et vouée aux tâches les plus ingrates, ne manque toutefois pas d’aplomb ni d’ambition. Un cocktail explosif, puisqu’elle réussira bientôt à s’attirer les faveurs de la reine, devenant à son tour sa favorite, confidente privilégiée et plus encore. Et attisant, ce faisant, la colère de Sarah…

[Le film de la semaine] The Favourite, de Yorgos Lanthimos: jeu de massacre
© DR

Farce sinistre

Rivalités exacerbées entre courtisanes, complots d’alcôves, manipulations, luttes de pouvoir et trafics d’influence -la guerre avec la France et les débats entre bellicistes et partisans de la paix servent d’arrière-plan au drame: la suite tient du jeu de massacre, résolument jouissif dès lors que Lanthimos opte pour un traitement voisin de la farce. Et de livrer, portée par un rythme soutenu et des dialogues assassins, une comédie humaine acerbe et acérée. À quoi, fidèle en cela à sa marque de fabrique, le réalisateur ajoute une mise en scène vertigineuse -jusque dans ses mouvements de caméra à l’ostentation volontiers déstabilisante, on ne se refait pas, il est vrai.

Soit une brillante réussite, plébiscitée lors de la dernière Mostra de Venise, où le film a obtenu deux distinctions, le prix d’interprétation pour Olivia Colman, « impériale » reine Anne (le jury aurait pu y associer Emma Stone et Rachel Weisz, pas moins convaincantes) et le Grand Prix pour un Yorgos Lanthimos à qui cette excursion hors de sa zone de confort aura permis, l’air de rien, de se réinventer. Drôle et sinistre à la fois, le premier choc esthétique majeur de l’année, à voir absolument.

De Yorgos Lanthimos. Avec Olivia Colman, Rachel Weisz, Emma Stone. 2h00. Sortie: 09/01. ****(*)

>> Lire également notre portrait de Yorgos Lanthimos.

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