Johnny Marr: « Si je suis meilleur musicien aujourd’hui, c’est grâce à la course à pied »

Johnny Marr: "Si je suis meilleur musicien aujourd'hui, c'est à la course à pied que je le dois." © Niall Lea
Philippe Manche Journaliste

Le flamboyant guitariste anglais Johnny Marr (The Smiths, The The, Electronic, Modest Mouse…) en solo depuis 2013 publie Set the Boy Free, une touchante autobiographie à l’image d’un artiste inspiré et d’un homme foncièrement libre.

Le 7 décembre dernier, Johnny Marr défendait son épatant troisième album solo Call the Comet sur la scène du Trix, à Anvers. Deux jours plus tard, il mettait un terme à une tournée de 52 dates sur une scène londonienne. Le 11 du même mois, celui qui a formé The Smiths en 1982 avec Steven Morrissey, et du même coup sauvé la première moitié des années 80 du marasme, était à Paris. Enchaînant les entretiens avec fougue et passion autour de la sortie française de Set the Boy Free, formidable autobiographie. Interlocuteur ultra cool qui ferait passer Snoop Dogg pour le plus grand des angoissés, « Johnny Guitar » profitera de notre présence pour nous demander dans quelle commune bruxelloise officie comme bourgmestre Pierre Kompany (à Ganshoren, NDLR), le père de son ami Vincent, tout en louant le parcours extatique de nos  » Red Devils » lors du récent Mondial russe.

Hasard du calendrier, Pete Shelley, l’extraordinaire parolier et guitariste des punk rockeurs romantiques The Buzzcocks prenait la tangente le jour de la Saint-Nicolas, à 63 printemps. Né John Maher pour l’état civil, le 30 octobre 1963 à Manchester, Marr a très tôt changé son patronyme pour éviter toute comparaison avec un autre John Maher, batteur des précités Buzzcocks. « C’est presque ironique que des artistes comme Pete ou Mark E. Smith (leader de The Fall, disparu le 24 janvier dernier à 60 ans, NDLR) nous quittent avant de vieilles rockstars comme Rod Stewart ou Roger Waters qui semblent indestructibles, mentionne Johnny Marr. Pete était un musicien très intelligent. Dans les années 70, son style vocal était particulier, très gay, féminin, subversif et sarcastique. À l’opposé de Joe Strummer ou Johnny Lydon qui, eux, étaient en colère. Pete comme Mark ont eu un mode de vie plutôt rock’n’roll. Et ça se paye un jour ou l’autre, j’imagine. »

Membre fondateur de The Smiths (quatre pépites entre 1984 à 1987, année de la séparation du groupe), partenaire de jeu de Matt Johnson avec The The (les fabuleux Mind Bomb en 1989 et Dusk en 1993), camarade de studio et de scène de Bernard Sumner (Joy Division, New Order) au sein d’Electronic (trois albums d’électro pop entre 1991 et 1999), Johnny Marr a également participé à l’enregistrement et à la tournée de We Were Dead Before the Ship Even Sank (2006) des zinzins psychédéliques de Modest Mouse. Au-delà d’un curriculum vitae aussi cohérent qu’impressionnant (Bryan Ferry, John Frusciante, The Cribs, Talking Heads, Pet Shop Boys, Billy Bragg, The Pretenders…), Johnny Marr revendique un mode de vie ascétique.

« J’adore mon mode de vie, s’emballe Johnny, et j’ai aimé faire partager ma passion pour la course à pied. De toute façon, lorsque j’ai commencé à écrire ce livre en 2016, je savais que je ne voulais pas m’adresser au fan hardcore des Smiths de Los Angeles, ni au journaliste de rock anglais vivant à Londres, mais bien au tout-venant. J’ai fait confiance à l’intelligence du lecteur et lorsque j’explique le processus de création ou l’enregistrement d’un disque, pas besoin d’être un musicien chevronné pour comprendre. » Set the Boy Free est donc à l’opposé des bios sex & drugs & rock’n’roll à la Slash, Anthony Kiedis ou Keith Richards, avec qui Johnny Marr a croisé le fer une nuit chez son amie Kirsty MacColl. « Je n’ai plus touché à une goutte d’alcool depuis 20 ans », confesse l’intéressé. Avant d’ajouter, le sourire en coin, avoir recommencé « à fumer des pétards de temps en temps ».

Un mode de vie, disions-nous, qui lui vaut des chambrages de ses collègues. « Comme si c’était incompatible avec mon métier, sourit le papa de Nile et Sonny. Mais si je suis meilleur musicien aujourd’hui, c’est à la course à pied que je le dois. Courir a fait évoluer ma façon de penser, de réfléchir. Oui, je cours, je lis beaucoup, je fais de la méditation, je m’intéresse au taoïsme, à l’hindouisme, à l’ésotérisme. Personne n’est meilleur qu’un autre. C’est ce que m’ont appris mes parents. C’est pour ça que je continue à travailler sur moi-même spirituellement, parce que je ne suis pas quelqu’un de religieux. »

Ce serait donc cela le secret de la coolitude et de l’humilité du gaillard? Une enfance heureuse au sein d’une famille aimante et modeste dans la grisaille du nord d’une Angleterre matée par Thatcher? Une passion pour la guitare découverte quasi au berceau? « C’est sûr qu’on ne roulait pas sur l’or à la maison, admet Johnny Marr. Mais cette culture populaire, cet instinct de survie en qulque sorte m’a amené à ce que je suis aujourd’hui. Quand tu viens du milieu social qui est le mien, tu n’es pas censé devenir musicien. Je me souviens avoir parlé de ça, il y a des années, avec Thom Yorke et il m’a suggéré d’échanger avec lui ma working class credibility contre son art school college. » (rires)

Set the Boy Free

Johnny Marr:

De Johnny Marr, éditions Le Serpent à Plumes. Traduit de l’anglais par Stéphane Legrand. 384 pages. ****

Émouvant et touchant sont les deux adjectifs qui viennent à l’esprit une fois la lecture achevée du parcours impeccable de celui qui a changé le destin du rock anglais le 20 mai 1982, lorsqu’il se rendit au domicile de Steven Morrissey. Des Smiths, il est forcément beaucoup question. De la genèse jusqu’au procès en passant par ses rapports avec son chanteur et parolier tout en restant concentré sur le répertoire rutilant des auteurs de The Queen Is Dead. Pas besoin d’anecdotes truculentes (Marr est avec la même femme depuis 40 ans) pour faire la connaissance d’un homme droit et intègre pour qui la notion d’indépendance n’est pas un concept à deux balles. À la limite -c’est la grande force de Set the Boy Free-, il n’est pas indispensable d’avoir entendu un morceau d’Electronic ou de son répertoire solo pour apprécier l’odyssée.

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