Made in China

© OLIVIER DION

Remarqué par Lena Dunham, un premier roman donne voix à sept adolescentes chinoises-américaines de New York. Fort.

Parmi les 493 romans de la rentrée littéraire de janvier, la sortie de celui de Jenny Zhang s’accompagne de beaucoup de bruit. Il faut dire que plusieurs fées célèbres se sont penchées sur son berceau: élève au prestigieux Iowa Writers’ Workshop for Fiction, Zhang y a notamment été encadrée par la grande écrivaine Marilynne Robinson, et c’est l’actrice et réalisatrice Lena Dunham ( Girls) qui lui trouvera un éditeur après avoir découvert sa poésie ( Sour Heart sera publié dans la collection féministe de Random House). Jenny Zhang est née à Shanghai en 1983, et arrivée aux États-Unis à l’âge de quatre ans. Son parcours ressemble beaucoup à celui des héroïnes de son premier livre, toutes filles d’immigrés chinois débarqués à New York dans les années 80. Elles sont sept, dans Âpre coeur, à assumer la responsabilité d’une histoire. Longues nouvelles? Roman polyphonique? Par leurs similarités, les trajectoires de Stacey, Annie, Lucy ou Frangie composent le roman d’une communauté: celle d’individus marqués par la mémoire de la révolution culturelle et la répression de Tian’anmen, partis chercher un meilleur avenir pour leurs enfants. Marchands de sommeil, locations sordides, boulots pénibles, racisme antichinois, jalousies interfamiliales puis expérience d’élévations économique et sociale: le livre expose avec une crudité et une ironie féroces, mais jamais de misérabilisme, certains passages obligés du « rêve américain ».  » Tout le monde disait que c’était normal de vivre l’enfer lors de sa première année en Amérique, mais personne ne nous avait prévenus pour la deuxième« , explique Cristina dans les premières pages.

Made in China

Entre deux

Mais c’est moins l’exil des parents qui est visé ici, que la manière de le raconter de leurs filles, une génération plus tard. Frondeuses, pleines de revendications et de rage, le livre les cueille à l’adolescence, quand à l’interrogation d’être de deux continents, de deux langues et d’une trajectoire bifurquée, s’ajoute celle de flotter soudain entre deux âges. Mères possessives qui font de leurs filles le réceptacle de leurs nostalgies, pères fantômes, représentations fantasmées du pays natal, visites de grands-mères qui exigent de leurs petites-filles cruelles qu’elles se montrent moins américaines que chinoises: pivotant autour d’un noyau d’obsessions et de culpabilités familiales communes, chaque histoire est le portrait intime et fourmillant, déluré ou empêché, d’une émancipation – » Je voulais être libre de me montrer égoïste et autodestructrice et ne rien me refuser comme les filles blanches du lycée où mes parents avaient trimé si dur pour me faire entrer« , raconte l’une d’elles. Reste que chez Jenny Zhang -et c’est fondamental-, l’expérience du déracinement ne fonde pas le caractère déterminant des existences, et que tous les événements touchant ses héroïnes ne viennent pas forcément exemplifier leur destin d’exilées, comme ce serait le cas dans une littérature édifiante. Questionnée sans tabous, dans des passages obscènes, pervers ou scatologiques, la question du corps est celle qui produit les scènes les plus marquantes du texte, quand abordant la maladie, la puberté ou la découverte de la sexualité, il montre que devenir femme implique parfois de s’inscrire dans une lignée et de s’en arracher tout à la fois.

Âpre coeur

De Jenny Zhang, éditions Picquier, traduit de l’anglais (USA) par Santiago Artozqui, 384 pages.

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