Typex: « L’art de Warhol en soi n’est pas si important »

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Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur hollandais Typex, déjà biographe de Rembrandt, s’empare du mythe Warhol dans un livre-événement, à nouveau polymorphe: il y a dix Andy dans ce Conte de faits!

« Quand j’ai eu fini Rembrandt , qui fut pour moi un énorme challenge, un de mes meilleurs amis, Peter Pontiac (figure majeure de la bande dessinée underground hollandaise, aujourd’hui disparu, NDLR), m’a dit: « C’est bien, mais maintenant tu dois vraiment faire un livre de Typex « . Je crois que c’est le cas: même s’il s’agit à nouveau d’un biopic et qu’il m’a lui aussi demandé cinq ans de travail, le sujet est cette fois beaucoup plus proche de mon monde. » Le monde de Typex, né en 1962 à Amsterdam, tient effectivement plus d’une after party rock’n’roll à la Factory que de l’atelier austère d’un peintre du XVIIe siècle -même si ce dernier a fait de lui, en 2015, une nouvelle star internationale, après plus de 20 ans passés à illustrer les magazines underground de BD ou de musique.

« L’époque où a vécu Warhol est à l’origine de tout ce que j’aime et qui m’inspire, mais je voulais cette fois, au contraire de Rembrandt, qui était une commande du Rijksmuseum et dont j’ai été le premier surpris du succès à l’international, que l’on voie beaucoup plus l’individu derrière les oeuvres. C’est pour moi le bon côté de Warhol: son art en soi n’est pas si important. On peut passer des heures devant le Guernica de Picasso, mais sans doute beaucoup moins devant une boîte de soupe Campbell’s ou une sérigraphie de Marilyn Monroe. Le plus important, c’est l’idée, plus que l’objet fini. Le concept. Et donc l’artiste plus que les oeuvres. Andy Warhol n’était peut-être pas le meilleur des êtres humains, mais c’était un grand artiste. C’est ça qui le rend spécial et que je voulais raconter, à ma manière. » Or les manières de Typex sont multiples, c’est même devenu sa marque de fabrique: le dessinateur est capable de changer de techniques et de graphies en fonction de ses sujets. « Une habitude qui me vient de l’illustration. Quand je dois illustrer une pochette de Nick Cave, elle doit être « dark » comme sa musique. Je veux toujours avoir une forme, un style graphique ou une esthétique qui colle au sujet. Et puis, petit, quand je lisais mes BD, j’étais affolé de voir le même Schtroumpf dans chaque case. Quel enfer! Pire qu’un travail de bureau! C’est aux Beaux-Arts que j’ai compris qu’il y avait d’autres options. » Dont acte: sa biographie dessinée de Warhol contient pas moins de dix livres dans le livre.

Ceci n’est pas Warhol

Dans Andy, chaque vie de Warhol possède en effet son identité graphique. Et Warhol en eut de nombreuses, parfois très éloignées de la figure de l’icône pop que le grand public connaît et à laquelle il identifie l’artiste américain: né en 1928 à Pittsburgh dans une famille d’immigrés slovaques, fils de mineur, Andy Warhol fut d’abord Andrew Warhola, gamin malade et marqué par la Grande Dépression, avant de devenir un adolescent mal dans sa peau, couvé par sa mère et déjà solitaire, dont le désespoir ne fut contrebalancé que par les comics et les magazines qu’il collectionnait, découpait et redessinait -« Un paradis imaginaire pour échapper au nowhere ». Ce n’est qu’en 1949 qu’il s’installe à New York pour devenir, lentement, l’artiste visionnaire que tout le monde connaît, et dont l’influence reste palpable aujourd’hui, 30 ans après sa mort.

Typex:

« L’objet de Warhol n’était pas de devenir heureux mais de devenir partie prenante de la culture, et il y est arrivé. Il est partout, on s’en inspire encore et sa clairvoyance est de plus en plus impressionnante: la culture du selfie, le manque de vie privée, le fait de se filmer en permanence… Tout était chez Warhol. Or c’était aussi un homme extrêmement solitaire même s’il avait besoin d’être entouré en permanence. Un homme qui vivait de manière complexe son homosexualité, qui était incapable d’aimer ou d’être aimé « normalement », et qui ne s’aimait sans doute pas beaucoup, rongé de l’intérieur par ses propres ambitions. Il me fallait comprendre tout ça pour dresser un portrait le plus complet possible, en le mettant en résonance avec l’imagerie et la musique de son époque. Il est né au moment du développement de la BD et du cinéma, il était ado quand les jeunes ont commencé à devenir une cible commerciale, il s’est épanoui dans les sixties… Chaque période de sa vie possède son propre cercle d’amis, d’influences, et aussi son esthétique. »

Et Typex de plonger dès lors dans les pas et les techniques de Warhol et de ses époques pour le raconter au plus près: du dessin publicitaire à l’aquarelle, du tampon à la sérigraphie, du photomaton au polaroid, resserrant peu à peu les imbrications entre la vie personnelle d’Andy et sa création dans un roman graphique symphonique à nul autre pareil. Et qui aura demandé un travail titanesque d’information et de synthèse (« Contrairement à Rembrandt, il y a énormément de documents sur Warhol, presque trop, j’ai surtout dû couper!« ), qui ne prétend ni à l’exhaustivité, malgré sa taille et ses ambitions, ni à « la » vérité. « Je suis persuadé que la seule manière de raconter quelque chose qui se veut vrai, ou proche de « la » vérité, c’est la fiction, assume l’auteur. Beaucoup des infos sur Warhol tiennent du témoignage, or il n’y a pas de vérité dans le témoignage, mais une vérité, un point de vue. Il faut trouver sa propre vérité. C’est pour ça que c’est un « conte de faits », et que « mon » Warhol est comme la pipe de Magritte: ce n’est pas Warhol, c’est une idée de Warhol. »

Une idée qui en tout cas fait son chemin: Andy sort simultanément en six langues et à l’international, dans une coproduction qui aura demandé la collaboration de plus de 50 personnes -mieux qu’un happening de la Factory! Une reconnaissance pour l’art de Typex, qui semble désormais sevré de biographie, mais dont les us graphiques ne devraient pas changer sur ses prochains projets: « Le prochain livre sera peut-être un recueil de différentes histoires apparemment très différentes les unes des autres, un peu comme les recueils Robbedoes (la version néerlandaise du journal de Spirou, NDLR) que je lisais quand j’étais petit. Un mélange d’histoires courtes ou à suivre, dans des styles très différents, qui formeraient finalement un tout. Plusieurs livres dans un seul. Oui, j’aime être schizo! »

Andy, un conte de faits, de Typex, éditions Casterman, 562 pages. ***(*)

Une sélection d’originaux de Warhol, un conte de faits est à voir jusqu’au 02/12 à la Gallery du Musée de la Bande Dessinée de Bruxelles. www.cbbd.be.

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