I Am Not Your Negro

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Dans Le Diable trouve à faire, paru en 1976 et enfin traduit en français, James Baldwin confrontait son monde au mirage hollywoodien. Acide et acerbe…

Trente ans après sa mort, le 1er décembre 1987 à Saint-Paul-de-Vence, l’écrivain new-yorkais James Baldwin semble plus présent que jamais. Sorti il y a quelques mois, l’impeccable et saisissant documentaire I Am Not Your Negro, de Raoul Peck, revisitant les luttes sociales et politiques des Afro-Américains à la lumière de ses propos et de ses écrits, en soulignait éloquemment l’actualité brûlante. Et voilà qu’en attendant de découvrir l’adaptation par Barry Jenkins ( Moonlight) de son roman If Beale Street Could Talk, présentée ces jours-ci au festival de Londres et annoncée sur les écrans belges en 2019, on peut se reporter sur Le Diable trouve à faire, essai consacré au cinéma paru aux États-Unis en 1976, et enfin traduit en français.

I Am Not Your Negro

C’est peu dire que la vision critique de Baldwin s’écarte résolument du prêt-à-penser, l’auteur y dénonçant, d’une plume aussi vigoureuse que mordante, les stéréotypes raciaux véhiculés par le cinéma hollywoodien. Vaste entreprise, qui s’ouvre en mode quasi autobiographique, le premier des trois chapitres de cet ouvrage embrassant les souvenirs d’enfance et d’adolescence de l’écrivain, où films et vie se mêlent inextricablement. Ainsi, lorsque l’image de Joan Crawford dans Dance, Fools, Dance, se confond avec celle d’une femme de couleur lui ressemblant en tout point croisée dans une épicerie:  » Elle était si incroyablement belle -on aurait dit qu’elle portait la lumière du soleil, et qu’elle la réajustait de temps en temps autour d’elle en souriant, d’un mouvement de la main ou de la tête (…) ». Pour autant, l’exercice est moins propice aux élans lyriques qu’à l’expression d’une réflexion aiguisée, prolongement d’une conscience noire affûtée. S’il se trouve quelques films pour trouver grâce à ses yeux – You Only Live Once de Fritz Lang, par exemple qui  » ressemblait à ce que je connaissais« -, ils constituent cependant l’exception.  » Même les Noirs les plus écervelés, les plus bercés d’illusion, en savent plus sur leur vie que l’image qu’on leur offre en guise de justification« , écrit-il. Et les In the Heat of the Night, The Defiant Ones et autre Guess Who’s Coming to Dinner produits par l’industrie pour dénoncer les préjugés raciaux ne l’abusent pas, qu’il passe à la moulinette d’un humour volontiers sardonique. Ainsi, s’agissant du dernier:  » Nous pouvons conclure que les gens ont le droit d’épouser qui ils veulent, surtout si nous savons qu’ils quittent la ville tout de suite après le dîner. » Acides sinon acerbes, les élans de Baldwin sont parfois discutables (par exemple quand il dézingue dans un même envoi The Exorcist et The Godfather). Ils sont surtout l’expression d’une pensée libre balayant le cinéma hollywoodien d’un regard aussi inhabituel que pénétrant. Cinglant et passionnant.

Le Diable trouve à faire

De James Baldwin. Editions Capricci. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pauline Soulat. 144 pages.

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