Signes de fuite

© FRÉDÉRIC STUCIN

Lauréat du Prix Saramago pour Jérusalem, le Portugais Gonçalo M. Tavares propose un roman picaresque, fable onirique sur une Europe en tensions.

Comme avec Apprendre à prier à l’ère de la technique (2010) -quatrième temps de son cycle Le Royaume-, le très productif Gonçalo M. Tavares livre avec Une jeune fille perdue dans le siècle à la recherche de son père un titre descriptif en diable, qui semble ne rien laisser caché à son lecteur. Car pour cet auteur, rencontré à Paris au début du mois de septembre, « l’écriture constitue un espace de réflexion, de lucidité, et non pas un espace de divertissement »: il ne s’agira donc pas ici de se satisfaire de bons mots ni de multiplier les péripéties édifiantes, mais de tisser un fil narratif simple – » la relation entre deux personnes qui ne se connaissaient pas au début du livre, un homme fort et une fille fragile. » Autour de ce fil viendront se produire une multitude de rencontres improbables, poétiques ou philosophiques, susceptibles de révéler à eux-mêmes les personnages principaux comme celui qui des yeux aura choisi de les accompagner. Marius est un homme seul, en fuite -de quoi? On ne le saura pas-dans une Allemagne vraisemblablement contemporaine, coincée en tout cas entre le souvenir des atrocités de l’Holocauste et le grondement indistinct d’une révolte à venir. Confronté à Hanna, une gamine trisomique, porteuse d’une boîte emplie de fiches éducatives et d’une unique mission – « Je cherche mon père »-, il va l’accompagner sur une piste existentielle où pullulent êtres étranges, lieux improbables et lumineuses idées. Et, bien entendu, alors que le premier semblait persuadé d’incarner le seul rempart entre un monde terrifiant et une pauvre gamine, c’est cette dernière qui lui montrera, dixit l’auteur, « que la stabilité constitue la seule grande force ».

Signes de fuite

Inquiétudes et fuite

Toujours obnubilé par la thématique d’une nécessaire fuite à venir, angoissé par les débordements potentiels d’un avenir incertain, le personnage, comme son auteur, multiplie les rencontres -comme autant de paraboles- avec des individus partisans de l’action, du retrait ou de la conservation d’une mémoire collective, comme autant d’attitudes possibles à adopter face à l’inconnu. Au vu des risques majeurs -naturels, accidentels ou intentionnels- menaçant la planète, explique Tavares, « la tension collective devrait être étouffante, alors qu’au niveau individuel, au moins dans les pays occidentaux, on vit dans un environnement tranquille et privilégié. D’où un vif conflit entre ces deux sentiments: un confort individuel accru, mais une plus grande inquiétude collective. » Pour incarner cette dualité, il se sert d’une riche galerie de personnages, et des concepts et idées que chacun d’entre eux porte en lui: un chercheur en quête des « centres de gravité de l’Histoire », un ancien déporté mélomane, un antiquaire alignant des séries de nombres, un photographe psychopathe, un sculpteur doté comme d’un troisième oeil, une fratrie essaimée en Europe et bien décidée à réveiller les peuples… Autant de pistes de réflexion, d’actes subtils de distorsion du réel ayant visiblement pour but d’aider le lecteur à percevoir les choses au-delà des choses, de quitter sa zone de confort pour s’abandonner à une saine méditation sur le monde comme il va (mal).

Une jeune fille perdue dans le siècle à la recherche de son père

De Gonçalo M. Tavares, traduit du portugais par Dominique Nédellec, éditions Viviane Hamy, 256 pages.

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